Il n’est pas simple d’expliquer la formation des Alpes. Cette chaîne de montagnes est complexe et de nombreuses études ont été faites, si bien qu’on pourrait en remplir plusieurs livres. Il subsiste pourtant des incertitudes, qui ne seront pas abordées ici. Ce bref article ne présente que les Alpes occidentales ou franco-italiennes.
Pour commencer, il faut rappeler ce qu’est une plaque lithosphérique. Une plaque continentale est constituée d’une croûte continentale, généralement épaisse d’une trentaine de kilomètres et divisée en croûte supérieure et croûte inférieure, et de roches du manteau, plus denses. Ce sont des péridotites. Une plaque océanique possède une croûte composée de basalte et de gabbro, de 6 à 8 km d’épaisseur, reposant sur une couche de péridotites. Une plaque continentale a souvent un bord océanique. La partie comprise entre la côte et la plaine abyssale de l’océan et la marge. L’histoire de la formation des Alpes, c’est l’histoire de la collision de deux plaques continentales, celle de l’Europe et celle d’un continent qui a été récemment appelé le Grand Adria. C’est un morceau détaché de l’Afrique. Entre les deux, se trouvait un océan qui a d’abord reçu le nom de Téthys alpine. Il est préférable de l’appeler l’océan liguro-piémontais.
À l’ouest, se trouve la zone externe, dite dauphinoise en France et helvétique en Suisse, représentée en bleu clair. Ce sont des calcaires du Jurassique supérieur et du Crétacé inférieur, déposé sur un socle cristallin (granito-gneissique) hérité de la chaîne hercynienne, donc âgé d’environ 300 Ma. Ce socle perce par endroits la couche de calcaire et forme les massifs cristallins externes que sont l’Argentera, le massif des Écrins-Pelvoux, la chaîne de Belledonne et le Mont-Blanc. La surrection de ces montagnes ne daterait que du Pliocène, entre 5,3 et 2,6 Ma, et elle se poursuit. Quant à la zone calcaire, elle a été plissée au début de la période antérieure, le Miocène, il y a entre 23 et 5,3 Ma. Elle forme les chaînes subalpines : Haut Faucigny, Bornes, Aravis, Bauges, Chartreuse, Vercors, Dévoluy, Diois, Baronnies, Haute Provence.
Les zones internes, dites penniques en Suisse, comprennent les domaines briançonnais et piémontais. Le premier était recouvert par des sédiments de marge. Cette marge était celle du continent européen, recouverte d’une croûte continentale amincie, faillée et étirée. La zone externe était franchement continentale, avec une épaisseur normale de 30 km, mais pourtant sous la mer, ce qui a permis à d’épaisses couches de calcaire de s’y déposer. Le socle du domaine briançonnais est un vestige de la chaîne hercynienne, d’époque Carbonifère (de 359 à 299 Ma), et l’on y trouve du charbon. Il apparaît au Grand-Saint-Bernard et dans le mont d’Ambin.
Durant le Jurassique et le Crétacé, peu de sédiments se sont déposés sur le Briançonnais, parce qu’il a été un haut-fond et qu’il a même été émergé. Le domaine piémontais comprend les « schistes lustrés » de la Vanoise, de la Haute-Maurienne et du Queyras. Ce sont d’anciens sédiments qui ont longtemps été énigmatiques, déposés près du plancher de l’océan liguro-piémontais. Ils ont été métamorphisés et déplacés lors de la formation des Alpes : ils sont devenus des nappes de charriage. Le domaine piémontais comprend également des massifs cristallins, les Monta Rosa, Gran Paradisio et Dora Maira en Italie. Il s’achève brutalement sur la plaine du Pô.
Ensuite, vient le domaine océanique, mais il faut d’abord parler d’un important charriage. La Dent-Blanche est un morceau de croûte supérieure adriatique qui a été poussé sur le continent européen puis isolé par l’érosion. On dit que c’est une klippe. Cette pyramide de gneiss culmine à 4 357 m d’altitude dans le canton suisse du Valais. Sa racine pourrait être le massif de Sesia en Italie, lui aussi gneissique. La Dent-Blanche et le Sesia sont séparés par des ophiolites représentées en noir. Ce sont les vestiges de l’océan liguro-piémontais. Ils comportent surtout des péridotites altérées en serpentines. La rareté des gabbros et des basaltes signifie que la croûte océanique était mince.
Les sédiments les plus anciens qui se sont déposés dessus sont des radiolarites rouges datés de 150 Ma (Jurassique supérieur). Ces roches sont des accumulations de tests siliceux (des coquilles) de radiolaires, des animaux unicellulaires. L’âge qui a été trouvé donne la période d’ouverture de l’océan liguro-piémontais. Les sédiments les plus récents sont des flyschs à Helminthoïdes, datés de la toute fin du Crétacé, il y a 65 Ma. Ce sont des successions de sable, de boue calcaire dans lesquels des animaux non identifiés, peut-être des vers, ont laissé des traces, et d’agile noire. Ces sédiments ont été déplacés dans des nappes de charriage et se trouvent à présent dans l’Embrunais et dans les Alpes maritimes.
Enfin, vient la marge continentale adriatique, aussi nommée insubrienne – du nom de l’Insubrie, une ancienne région italienne. Nous passons ici sur un autre continent. Son socle ne ressemble pas à celui de la zone externe. Celui-ci est semblable au socle hercynien, granito-gneissique, du Massif Central. Pour savoir à quoi ressemble le socle adriatique, il faut passer dans les Alpes orientales, notamment dans la région sudalpine (Alpes méridionales des géographes). Il date du Précambrien et du Paléozoïque. Il a été recouvert par la mer durant le Carbonifère et le Permien (de 299 à 252 Ma) et l’on y trouve des restes de fusulines. Ce sont des animaux unicellulaires à test calcaire qui n’ont vécu que durant cette période et habitaient des milieux peu profonds.
Dans les Alpes franco-italiennes, la plaque adriatique a été retroussée. Sa croûte inférieure apparaît dans la région d’Ivrea – ou Ivrée pour franciser le nom. Ce fait est exceptionnel : la croûte inférieure d’une plaque continentale n’est presque jamais visible. Il y a aussi des péridotites provenant du manteau, dans le massif voisin de Lanzo. Cette région est séparée du massif de Sesia par la ligne insubrienne, une importante faille qui court jusque dans les Alpes orientales. Mais ce n’est pas une frontière entre plaques. La zone Sesia et la Dent-Blanche, situées de l’autre coté de la ligne, appartiennent eux aussi à la plaque adriatique. On remarque un épisode volcanique dans le Canavais, qui est le territoire de la ville d’Ivrée. Ces laves, des andésites, sont datées de 33 à 29 Ma. Cela tombe dans l’Oligocène (de 34 à 23 Ma). Mais cette épisode est tardif, car c’est durant l’Éocène (de 56 à 34 Ma) que la collision entre les deux plaques s’est produite.
Il y a subduction quand une plaque lithosphérique s’enfonce sous une autre. Le phénomène est admis depuis longtemps pour les plaques océaniques, capables de s’enfoncer dans le manteau grâce à leur densité élevée, mais plus récemment, il a fallu admettre que lorsque deux plaques continentales entrent en collision, l’une passe sous l’autre. Dans les Alpes occidentales, c’est la plaque européenne qui a plongé sous la plaque adriatique, comme le montre l’étude de ses profondeurs grâce aux ondes sismiques.
Le métamorphisme prouve également que certaines roches ont séjourné à de grandes profondeurs, où des transformations leur ont permis de se mettre en équilibre avec les nouvelles conditions de température et de pression. De plus, ces transformations peuvent être datées. Le record est atteint avec le massif gneissique de Dora Maira, qui a connu une température de 750 °C et une pression de 35 000 atmosphères. On y trouve de la coesite, une forme de très haute pression de la silice apparaissant vers 100 km de profondeur. Le gneiss est une roche métamorphique pouvant provenir de granites. C’est au début de l’Éocène que le métamorphisme s’est produit. On comprend facilement que c’est la subduction qui a enfoncé ces roches.
Globalement, plus les massifs occupent une position orientale sur la plaque européenne, plus leur degré de métamorphisme est élevé. Il est plus difficile de comprendre pourquoi les roches remontent. La réponse a été donnée dans les années 1990 par des géophysiciens français, dont Alexandre Chemenda et David Boutelier. C’est la poussée d’Archimède qui fait remonter les roches de la croûte continentale. D’après leur modèle, elles ne peuvent pas descendre à plus de 120 km de profondeur.
Pour finir, cette représentation de la cinématique de la plaque adriatique, depuis l’Oligocène, permet de comprendre pourquoi les Alpes ont cette forme arquée. Durant l’Éocène, il y a bien eu un poinçonnement de l’Europe par cette plaque. Elle chevauchait la plaque européenne alors qu’elle était elle-même chevauchée par le bloc corso-sarde. Celui-ci s’est détaché de l’Europe et a effectué une rotation de 30° dans le sens antihoraire. La plaque adriatique s’est alors mise à effectuer le même mouvement de rotation.
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