Ces images montrent un territoire impossible à explorer : l’intérieur de notre planète. Comme on peut pas faire des trous pour descendre à des milliers de kilomètres de profondeur (le forage profond de Kola n’a pas atteint les 13 km), il n’existe qu’un seul moyen pour sonder l’intérieur de la Terre : l’étude des ondes sismiques. Elles sont capables de la parcourir de part en part. Leur nature, leur vitesse et leur direction varient selon les zones traversées.
On sait depuis des décennies que la Terre est composée de couches concentriques dont le manteau, qui commence à une profondeur moyenne de 30 km sous les continents et de 7 km sous les océans, et qui s’achève à 2 900 km de profondeur. Le manteau est lui-même divisé en manteau supérieur et manteau inférieur, la limite se situant à 660 km de profondeur. Le second est beaucoup plus épais que le premier. Les interfaces entre ces couches correspondent à des variations de température ou de composition des roches. Il existe également des variations latérales, en fonction non pas de la profondeur, mais de la longitude et de la latitude. La connaissance de ces variations est fondamentale pour la compréhension de la dynamique du manteau. Il est composé de roches solides (les péridotites dans sa partie supérieure), mais elles se déforment légèrement et font bouger les plaques lithosphériques. Ce sont les mouvements très lents du manteau qui causent la tectonique des plaques, avec ces conséquences très visibles que sont les séismes et les éruptions volcaniques. Il existe des colonnes de roches chaudes, les panaches, qui montent à des vitesses allant de quelques centimètres à un mètre par an et provoquent du volcanisme de point chaud comme à Hawaii. On suppose que les plus importantes de ces colonnes sont enracinées à la base du manteau, au contact avec le noyau de la Terre.
Pour évaluer les variations tridimensionnelles, et donc latérales, des vitesses des ondes sismiques, on utilise une technique moderne d’analyse appelée la tomographie sismique. Les premières images datent de 1984, mais elles avaient une résolution spatiale de 5 000 km. Depuis, la résolution n’a cessé d’être améliorée. Les images ci-dessous ont été obtenues en 2008 par Christine Houser, Guy Masters, Peter Shearer et Gabi Laske. Ce modèle de manteau s’appelle HMSL-S06, d’après les initiales de ces chercheurs. Ils sont utilisé des ondes S, qui sont des ondes transversales : les particules de roche vibrent perpendiculairement à la direction de propagation de l’onde. Elles ne peuvent se propager que dans des milieux solides. Le manteau a été découpé en 18 couches concentriques, d’à peu près 100 km d’épaisseur dans le manteau supérieur et de 200 km d’épaisseur dans le manteau inférieur. Chaque couche est elle-même divisée en 2 578 blocs.
Sur la première image, on voit la première couche, qui va de 111 à 200 km de profondeur. Les ondes S se propagent plus vite dans les zones bleues que dans les zones rouges. Cela correspond approximativement à la distinction entre continents et océans. Plus exactement, les zones bleues se trouvent sous les parties les plus anciennes des continents, aux endroits où la lithosphère est la plus épaisse, mais ce n’est pas très visible sur le planisphère. Quand on s’enfonce dans le manteau supérieur, jusqu’à 660 km, la distinction entre les sous-sols des continents et des océans disparaît. Dans le manteau inférieur, les variations de vitesse des ondes sont faibles, mais elles redeviennent visibles à la base. Il y a deux zones évidentes de faible vitesses des ondes S, en rouge, décrites par tous les autres modèles. Elles se trouvent sous le Pacifique central et l’Afrique australe. On les appelle des provinces de basse vitesse des ondes S (large low-shear velocity province LLSVP en anglais) . Ce seraient des zones plus chaudes que le reste du manteau, mais aussi avec une composition chimique différente, à partir desquelles des panaches se formeraient, d’où leur autre nom de superpanaches. Ils sont stables et jouent un rôle très important dans la dynamique globale du manteau.
Ces provinces ont été décrites dans les années 1990 par plusieurs équipes, dont celle de Guy Masters, Gaby Laske, Stuart Johnson et Harold Bolton en 1996 et celle de Stephen Grand, Rob van der Hilst et Sri Widiyantoro en 1997.
Ces deux autres images du manteau ont été obtenues par l’équipe de Jeroen Ritsema, de l’Université du Michigan, en 1999. La première correspond à une profondeur de 100 km. Les cratons sont en bleu. Ces sont les zones les plus anciennes des continents, appelée boucliers quand les roches âgées sont à l’affleurement. Le principal est le bouclier du Canada, où l’on trouve des roches âgées de 4 milliards d’années. Il y a aussi l’Australie occidentale, le bouclier fenno-scandinave, la Sibérie, l’Afrique australe et occidentale, le Brésil. L’Inde est également un continent ancien. Sous les cratons, la lithosphère peut avoir plus de 300 km d’épaisseur. Les roches y sont rigides, froides et la vitesse des ondes S est élevée. À l’opposée, les dorsales océaniques, indiquées par des lignes vertes, sont des zones où la croûte océanique se crée par solidification de magma. Elle est constituée de basalte et de gabbro. Ce sont des zones chaudes. La croûte refroidit quand elle s’éloigne de la dorsale. Elle peut être comparée à un pain qui sort du four. Les points chauds sont indiqués par des cercles verts. Ils n’ont aucun rapport avec les plaques lithosphériques.
Le manteau à 2850 km de profondeur a un tout autre aspect. Les zones chaudes et froides n’ont plus de rapport avec les plaques lithosphériques. On y retrouve, en rouge, les superpanaches, sous le Pacifique central et l’Afrique. Il y a une assez bonne correspondance entre ces zones rouges et les points chauds localisés à la surface de la Terre. Plusieurs points chauds se trouvent au-dessus de la zone chaude du Pacifique. Il n’y a quasiment pas de point chaud au-dessus de la zone froide située sous l’Eurasie et la plaque indo-australienne. En revanche, l’Amérique du Nord comprend deux points chauds situés au-dessus d’une zone froide. C’est là que se trouve le supervolcan de Yellowstone.
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Guy Masters et al., A shear velocity model of the mantle, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 1996.
Stephen P. Grand et al., Global Seismic Tomography : A Snapshot of Convection in the Earth, GSA Today Vol. 7, N 4, April 1997.
Ritsema J. van Heijst H.J. Woodhouse J.H., Complex shear velocity structure imaged beneath Africa and Iceland, Science 286, 1999.
J. Ritsema et al., S40RTS : a degree-40 shear-velocity model for the mantle from new Rayleigh wave dispersion, teleseismic traveltime and normal-mode splitting function measurements, Geophysical Journal International, Volume 184, Issue 3, March 2011.
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