Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

France

Paysages du Carbonifère

Le but de cet article n’est pas de donner une description de la France au Carbonifère parce qu’il y aurait beaucoup trop de choses à dire. Il est de donner une idée de ce qu’était la France et une partie de l’Europe occidentale durant le Pennsylvanien, sous-système allant de 323 à 299 Ma durant lequel l’essentiel de la production de charbon a eu lieu. On sait que les veines de charbon sont d’anciennes forêts marécageuses, mais on sait également qu’une chaîne de montagnes aussi majestueuse que l’Himalaya occupait l’Europe : la chaîne hercynienne. Puisqu’il y avait de hautes montagnes, où se trouvaient alors ces forêts ?

L’Europe au Carbonifère

Pour le découpage du temps, plutôt que la charte stratigraphique internationale, on utilise la chronostratigraphie de Heerlen, qui parle du Namurien (de 325 à 315 Ma), du Westphalien (de 315 à 307 Ma) et du Stéphanien (de 307 à 300 Ma), trois périodes regroupées sous le nom de Houiller. Cette carte montre l’Europe durant le Westphalien. La Russie européenne est sous la mer et la sédimentation y est calcaire et argileuse. Elle n’est pas encore rattachée à la Sibérie. Les Pays baltes et la Fenno-Scandinavie sont émergés. Comme l’Atlantique n’existe pas encore, le Groenland est voisin de la Norvège. Toutes ces terres, dont l’Écosse, forment un craton. C’est une croûte continentale stable. Au sud, la chaîne hercynienne est dans sa phase de relaxation thermique : son épaisseur diminue, elle s’étale, de grandes failles apparaissent et un abondant magmatisme se manifeste.

Tronc de lycopside.
Tronc de Lycopside, peut-être de Sigillaria, de la formation de Joggins en Nouvelle-Écosse. Michael C. Rygel, Wikimedia Commons.

Selon les périodes, les eaux s’avancent le long du bassin du Lublin en longeant le front varisque (ou hercynien), indiqué par une série de flèches, et elles se répandent dans l’actuelle Mer du Nord, jusqu’en Irlande et au-delà. Mais elles peuvent également venir de l’ouest, où se trouve l’actuel Canada. Elles évitent deux petits massifs : celui du Pays de Galles et celui de Londres-Brabant. Le charbon se forme dans des bassins d’avant-pays (foreland basins), juste devant le front varisque, c’est-à-dire au pied des montagnes. Le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais est l’un d’eux, ainsi que les bassins de Campine en Belgique, de Limburg aux Pays-Bas, de la Ruhr en Allemagne et de Haute-Silésie. Ils sont signalés sur cette carte par des hachures. Je mets plus loin une autre carte à plus grande échelle.

Stanislav Oplustil & Christropher J. Cleal, A comparative analysis of some Late Carboniferous basins of Variscan Europe, Geological Magazine 144 (3), 23 March 2007.

La formation des veines de charbon a un caractère rythmique remarqué dès le XIXe siècle en Angleterre. Les bassins houillers sont formés d’alternances de veines de charbon, provenant de forêts marécageuses, et de sédiments détritiques « stériles », provenant de l’érosion de la chaîne hercynienne et apportés vers la mer par des cours d’eau. En 1932, Wanless et Weller ont donné le nom de cyclothèmes à ces séquences sédimentaires. Des cycles de 400 000 ans ont été reconnus dans le Kansas et l’Illinois. Dans les Appalaches, le nord-est du Canada et le nord du Groenland, la période est plutôt de 100 000 ans. C’est compatible avec les cycles de Milankovitch, liés aux paramètres orbitaux de la Terre, qui sont responsables depuis le début du Quaternaire d’une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. Le niveau des mers est bas durant les glaciations, puisque l’eau est stockée dans les calottes polaires. Il remonte quand le climat se réchauffe. Ces variations de niveau sont qualifiées de glacio-eustatisme. Mais tous les cyclothèmes ne sont pas causés par les cycles de Milankovitch, notamment en Europe.

Le Carbonifère par Alexis Rastier.

Bassin paralique : en bord de mer

Dans le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais, les veines de charbon sont d’anciennes forêts qui ont été noyées rapidement mais pas de manière catastrophique, par subsidence (enfoncement du sol). Les troncs sont restés en place avec leurs racines dans le sol. Les branches et les feuilles ont été préservées et restent reconnaissables dans le charbon. La forêt, morte par noyade, a ensuite été recouverte par des argiles, puis des sables, puis des galets. C’est un granoclassement négatif, c’est-à-dire que les sédiments grossiers surmontent les sédiments fins. La logique est celle du comblement d’une dépression. De plus, l’étude des conditions de dépôt de ces sédiments montre qu’ils venaient du sud, où s’élevait la chaîne hercynienne dont le relief venait d’être rajeuni. Les cours d’eau qui ravinaient ces montagnes étaient peu hiérarchisés. Il n’y avait pas de grand fleuve mais un réseau de petits cours d’eau. Le milieu n’était donc pas deltaïque.

Quand la dépression était comblée, de nouvelles forêts naissaient sur les sédiments grossiers. Un nouveau cycle pouvait recommencer. Tout cela montre le rôle de la tectonique hercynienne dans la formation du bassin houiller. Le creusement de dépressions dans l’avant-pays était accompagné par le rajeunissement de reliefs des montagnes. Ces reliefs étaient ensuite érodés, les sédiments détritiques recouvrant les forêts noyées. En 1930, Pierre Pruvost a introduit le concept de subsidence saccadée. Il a remarqué que la sédimentation ne se faisait pas de la même manière dans des sites voisins séparés par des failles. La formation du bassin houiller a duré 20 Ma, durant le Namurien et le Westphalien.

Michiel Dusar et al., Palaeogeographic and palaeoenvironmental characteristics of major marine incursions in northwestern Europe during the Westphalian C (Bolsovian), Geologica Belgica) 3/3-4, 331-347, 2000.

Les autres bassins houillers ont eu des histoires différentes, mais certains évènements ont marqué des parties plus ou moins grandes de l’avant-pays varisque et sont donc enregistrés dans plusieurs bassins. Il s’agit de grandes incursions marines, durant lesquelles les forêts ne pouvaient forcément pas vivre, et d’éruptions volcaniques. Dans les niveaux charbonneux, les cendres volcaniques s’altèrent en tonsteins, un assemblage de deux minéraux, à cause des acides produits par la dégradation de la matière organique. Ces couches de tonsteins sont indiquées par des prénoms dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais (Basilic, Constance, Durance, Espérance, etc) et par des noms de la mythologie germanique dans le bassin de la Ruhr (Baldur, Erda, Hagen, Nibelung, Odin). Constance correspond à Erda, ainsi qu’au niveau T13 dans le bassin de Campine en Belgique. On sait de la sorte qu’une grande éruption volcanique a laissé des traces dans ces trois bassins.

La période dont il est ici question, le Westphalien C, a commencé par une incursion marine appelée respectivement Rimbert, Aegir et Maurage dont ces trois bassins, ainsi que Mansfield en Angleterre. La figure 4 indique les limites de cette transgression. Les Galles du Sud et le massif de Londres-Brabant sont restés émergés. La figure 5 montre cette même zone après le retrait de la mer. Les lettres a, b et c indiquent respectivement des plaines deltaïques hautes, des sédiments rouges déposés autour des massifs et trahissant un climat tropical humide, et des plaines alluviales basses avec des rivières et des lacs. Ce dernier environnement est favorable au développement des forêts marécageuses, dans l’avant-pays varisque. L’éruption volcanique Constance-Erda-T13 s’est produite durant cette période. Cinq autres éruptions l’ont suivie. Une nouvelle transgression a eu lieu, et ainsi de suite.

Brun et al., Crustal-scale structure of the southern Rhinegraben from ECORS-DEKORP seismic reflection data, Geology, v. 19, p. 758-762, July 1991.

Bassin limnique : à l’intérieur des terres

Le bassin houiller lorrain est d’un autre type. Il est dit limnique, du grec limnaios « d’étang », car il est situé à l’intérieur de la chaîne hercynienne. Pour bien se représenter le paysage, le mieux est de commencer par l’avant-pays, sur le territoire de ce qui est aujourd’hui la Belgique et l’Allemagne. Les hautes montagnes s’élevant au sud deviendront plus tard les Ardennes et le massif rhénan, schisteux et non granitiques comme les autres massifs hercyniens. Les petits massifs de Hunsrück et de Taunus se trouvent au sud-est du dernier, séparés par le Rhin.

Ces anciennes montagnes appartenaient la zone rhéno-hercynienne. Elles sont délimitées par une grande faille, dite Sud-Hunsrük-Taunus, qui se prolonge en Lorraine avec la faille de Metz. Le long de cette faille, bien visible sur la carte géologique, le socle est descendu et pas moins de 8 000 mètres de sédiments se sont accumulés. Cette épaisseur de sédiments diminue rapidement vers le sud-est et l’est. C’est là que se trouve le bassin houiller lorrain, qui devient en Allemagne le bassin de Saar-Nahe.

En France, ces sédiments sont recouverts par ceux du Mésozoïque, si bien qu’il est nécessaire de les forer pour accéder aux veines de charbon du bassin houiller lorrain. Il y avait une grande vallée durant le Carbonifère. Des rivières y apportaient des sédiments (galets, sables, argiles) arrachés aux montagnes voisines, et l’eau se répandait dans des deltas lacustres et des lacs. Les méandres de certaines rivières montrent que le sol pouvait être horizontal. Au cours du temps, des périodes sèches et humides se succédaient. Les végétaux qui tapissaient cette vallée étaient du type Cordaitale, Sigillaria, Lepidodendron, Calamite, et il y avait bien sûr des fougères. Le volcanisme a laissé de nombreuses traces. Au sud-est, les montagnes remontaient et la zone saxo-thuringienne commençait. Elle recouvrait surtout les actuelles Allemagne de l’Est et Bohême. Les granites des Vosges et de la Forêt-Noire, indiqués sur la carte, appartiennent à la zone moldanubienne.

De hautes montagnes

Comme il a été rappelé au début de cet article, de très hauts sommets s’élevaient dans la chaîne hercynienne. Mais a-t-on vraiment des preuves de leur existence ? La réponse est positive et des indices étaient connus depuis 1895, mais ils ont été presque totalement ignorés parce qu’ils ne cadraient pas avec ce que l’on savait des bassins houillers : une végétation « tropicale » située au niveau de l’équateur. Les bassins du Massif central contiennent des sédiments particuliers, datés de la fin du Carbonifère et du Permien (Stéphanien et Autunien) : des fragments de pierre anguleux transportés sur de très courtes distances.

On y trouve des blocs de plusieurs mètres cubes. Ils résultent de la gélifraction : alternances de gels et de dégels qui fracturent les roches. Les dégels provoquent des solifluxions, écoulements lents de sols boueux sur d’autres sols toujours gelés. Des galets striés par l’avancement des glaciers ont été ramassés dans le bassin de Saint-Étienne. La composition des argiles fournit des informations sur le climat. Il y a surtout des illites et des chlorites, beaucoup de moins de kaolinite. C’est caractéristique d’un climat glaciaire. Les feldspaths et les biotites (micas noirs) des granites sont peu altérés, si bien que l’érosion donne un sable dont la composition est la même que celle de la roche initiale.

L’altération est physique et non chimique. En ce qui concerne la végétation, dans tous les bassins du Massif central, elle était uniforme, d’une faible diversité génétique et d’extension géographie limitée, par suite de son adaptation aux conditions climatiques. Il y avait notamment des Cordaitales ressemblant aux Glossopteris du Gondwana, adaptées aux hivers rigoureux. Les premières sont des Gymnospermes et les secondes sont des fougères à graines, mais leur convergence évolutive a été telle qu’elles peuvent être confondues.

Toutes ces données, compte tenu de la faible latitude de la chaîne hercynienne, suggèrent que ces petits bassins sédimentaires étaient perchés à une altitude comprise entre 4 500 et 5 000 m. Je mets un dessin effectué par Jean-François Becq-Giraudon montrant à quoi ils pouvaient ressembler. La légende est la suivante : 1 = neiges éternelles, 2 = glaciers de montagnes, 3 = vallée torrentielle, 4 = dépôt stratifié de pente, 5 = cône supérieur d’éboulis, 6 = plaine d’inondation marécageuse, 7 = rivière principale, 8 = plaine d’inondation marécageuse d’époque autunienne, 9 = granites, 10 = roches métamorphiques, Fc= flux de chaleur. Le bassin est situé sur une faille normale, causée par une distension de la croûte continentale, ce qui le fait glisser vers le bas. À l’époque considérée, qui est le Stéphanien (sauf pour le marais 8), une grande épaisseur de sédiments s’est déjà accumulée, parmi lesquels figurent des veines de charbon en noir. Les granites cristallisent à l’intérieur des montagnes. Ils seront mis à jour par leur érosion.

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