Les trapps de Sibérie sont l’une des plus importantes effusions de magma qui se sont produites sur Terre depuis le début du Cambrien. Ces éruptions volcaniques sont très probablement responsables de l’extinction de masse définissant la limite entre le Paléozoïque et le Mésozoïque, il y a 252 millions d’années, ou entre le Permien, à la fin du Paléozoïque, et le Trias, au début du Mésozoïque.
Coulées pyroclastiques et coulées de laves
Les trapps s’étendent sur deux régions distinctes. À l’ouest, le magma est recouvert par les épais sédiments mésozoïques et cénozoïques de la plaine de Sibérie occidentale. D’une surface supérieure à 2,6 millions de kilomètres carrés, elle est pour moitié d’une altitude inférieure à 100 mètres. Elle est irriguée par le fleuve Ob et son affluent l’Irtysh. Des milliers de forages effectués principalement pour la recherche d’hydrocarbures ont révélé la présence de basaltes permo-triassiques et de rhyolites plus rares, indiqués en rouge sur la carte. Deux grands rifts sont également notés : Urengoy et Khudosey. Les basaltes affleurent localement, dans le bassin minier de Kouznetsk, à l’est de Novossibirsk, et dans le complexe de Semeitau au Kazakhstan oriental, ainsi qu’au nord de l’Oural, à Vorkouta, et dans la pénisule de Taïmyr.
Les principaux affleurements se trouvent sur les plateaux de Sibérie centrale, bordés à l’ouest par le fleuve Iénisséï. Leur superficie dépasse 4 millions de kilomètres carrés et leur altitude moyenne est comprise entre 500 et 700 mètres. Ils correspondent au craton de Sibérie, dont la limite occidentale figure sur la carte. C’était un continent isolé avant l’assemblage de la Pangée durant le Paléozoïque. Son socle cristallin n’affleure que sur le massif de l’Anabar (du nom d’un fleuve qui se jette dans la mer des Laptev) et sur le bouclier de l’Aldan au sud-est de la Yakoutie. À l’ouest, des dolomites, des calcaires et des sédiments argileux du Paléozoïque inférieur ont été recouverts de marnes (mélanges d’argiles et de calcaires) du Dévonien, puis de dolomites, d’évaporites riches en sulfates et de calcaires du Carbonifère déposés dans une mer peu profonde. Là-dessus, après une période d’érosion, sont venus des sédiments continentaux : siltite (une sorte de grès à grains très fins), grès et conglomérats du Carbonifère et du Permien, ainsi que des veines de charbon. Le magma des trapps de Sibérie, monté des profondeurs du manteau, a traversé le socle cristallin puis la couverture sédimentaire, en brûlant du charbon.
La carte ci-dessous donne une description plus détaillé des trapps sur les plateaux de Sibérie centrale. Elle est l’œuvre de Henrik Svensen et de ses collaborateurs, qui ont démontré que du pétrole avait également été brûlé. Il provient de roches-mères précambriennes. Au nord, des coulées de lave s’étendent sur une zone d’un millier de kilomètres de long. Elles atteignent 3000 mètres d’épaisseur au nord-ouest et sont plus fines au sud-est, où elles n’ont parfois que quelques dizaines de mètres d’épaisseur. Les coulées de lave individuelles s’étendent en général sur quelques dizaines de kilomètres, mais certaines peuvent être suivies sur des centaines de kilomètres et atteignent 150 mètres d’épaisseur.
Une rivière de 3000 km de long, la Toungouska inférieure, coule sur ces basaltes. Le village de Toura a été bâti au confluent avec la rivière Kotchetchoum. C’est l’une des rares localités de cet immense territoire quasiment désert. Plus au sud, se trouve la Toungouska pierreuse. Les deux rivières ont donné leur nom à ce bassin sédimentaire : le bassin de la Toungouska. La seconde ne coule pas sur du basalte, mais plutôt sur des couches de tufs basaltiques. Ce sont des cendres émises par des éruptions explosives dont le mécanisme n’est pas encore compris. Elles ont une épaisseur maximale de 700 mètres au centre du bassin et deviennent plus fines vers le nord et l’ouest, où les coulées de lave sont bien développées. Au sud du bassin, elles ne sont accompagnées d’aucune lave.
Les sédiments ont subi des intrusions de magma qu’on appelle des dykes et des sills. Les seconds sont parallèles aux strates. Ils affleurent autour de la zone des basaltes et des tufs, parmi les sédiments, grâce à l’érosion. Leur épaisseur va de quelques mètres à 500 mètres et ils constituent jusqu’à la moitié de la hauteur des successions de sédiments. Les essaims de dykes ont parfois des centaines de kilomètres de long et sont présents sur les marges nord et nord-est du bassin de la Toungouska. Ils sont constitués de dolérite. C’est du magma basaltique finement cristallisé parce que son refroidissement a été plus lent qu’en surface.
La composition du magma est variable. Quatre régions sont distinguées : Noril’sk au nord-ouest, Poutorana plus au sud, Maïmecha-Kotui à l’est, sur le versant occidental du massif de l’Anabar, et la Toungouska inférieure au sud-est. Les roches de Poutorana sont uniquement des basaltes tholéiithiques, pauvres en alcalins. La région de Noril’sk comporte une grande variété de roches, dont des basaltes picritiques à tholéiithiques et des andésites basaltiques. Les roches volcaniques de la région de Maïmecha-Kotui sont plus évoluées. En plus des basaltes déjà cités, on y trouve des basaltes alcalins à olivine, des trachybasaltes, des trachyandésites, des basanites et des néphélinites à olivine (des foïdites, très pauvres en silice). Dans la région de la Toungouska inférieure, le basalte tholéiithique de Kotchetchoum a une épaisseur comprise entre 60 et 450 mètres. Il surmonte des séries de tufs.
D’après les datations argon-argon, le magmatisme de la région de Maïmecha-Kotui a commencé à un stade précoce et a pu continuer durant la phase principale des trapps. Cette phase est celle du basalte tholéiithique de Poutorana et de la Toungouska inférieure, ainsi que de trois couches supérieures de la région de Noril’sk. Plus de 90 % des laves ont alors été émises, avec une composition remarquablement uniforme.
Les trapps de Sibérie et l’extinction de masse
Géologiquement, la limite Permien-Trias est délicate à définir. La sédimentation en milieu continental ne montre aucun évènement particulier. En Europe, au Groenland et en Amérique du Nord, on passe des « vieux grès rouges » à des grès plus ou moins bariolés. Dans certaines régions, la sédimentation marine s’arrête à cause d’une régression généralisée. Ce retrait des mers a aussi joué un rôle dans la crise biologique. La succession des strates visibles dans les Alpes méridionales, en Iran, au Groenland et en Chine du Sud est difficile à interpréter. Le meilleur endroit pour observer le passage du Permien au Trias est le Salt Range du Pakistan et du Cachemire, des montagnes présentant de grands dépôts de sel. Les fossiles indicateurs du début du Trias sont l’ammonoïde Otoceras woodwardi, le bivalve Claraia et le conodonte Isarcicella isarcica (une sorte de ver).
C’est dans les strates de Meishan, dans la province du Sichuan en Chine du Sud, que la limite Permien-Trias a été fixée. Elle est datée à 252,2 ± 0,5 Ma, ce qui doit être comparé aux datations des trapps présentées dans un article de Nature Communications de 2017. Trois phases ont été distinguées. La première, datée de 252,2 à 251,9 Ma, durant donc environ 300 000 ans, commence par des éruptions explosives avec des coulées pyroclastiques et se poursuit par des effusions de laves. Deux tiers des trapps auraient alors été constitués, mais la crise biologique n’a pas commencé dans les mers. Elle aurait été à peu près contemporaine de la deuxième phase, pendant laquelle le magma s’est introduit dans les sédiments et les a métamorphisés, entraînant l’émission de gaz à effet de serre. Cette phase est datée de 251,9 à 251,4 Ma. Ces âges sont ceux du complexe de sills. Les effusions de lave ont repris durant la troisième phase, jusqu’à 251 Ma.
Selon un article publié en 2019 dans Earth and Planetary Science Letters, les forêts du Gondwana, dans l’actuelle Australie, ont été dévastées par des incendies à cause d’une forte augmentation des températures de surface de la Terre. Cette crise a commencé il y a environ 252,3 Ma, soit au moins 370 000 ans avant l’extinction des espèces marines.
Le nickel de Noril’sk
Les trapps de Sibérie n’intéressent pas que les paléontologues ! Pour la Russie, ils sont une source de richesse. La ville de Noril’sk, notée sur les deux cartes, est une cité minière. On y exploite le cuivre, le nickel et les platinoïdes, des éléments proches du platine dans la classification périodique. Ces gisements ne se situent pas en surface, mais dans les profondeurs, là les intrusions de magma sont entrées en contact avec les sédiments du bassin de la Toungouska. Elles ont provoqué leur fusion partielle.
Ces sédiments comprennent des carbonates, des argiles et surtout des évaporites du Silurien et du Dévonien, dont de l’anhydrite CaSO4, qui a fourni du soufre. Mais un liquide sulfuré est immiscible dans un magma silicaté, en particulier basaltique. Il a donc formé des gouttelettes qui ont attiré des métaux chalcophiles, c’est-à-dire ayant des affinités avec le soufre. Enrichies en métaux et alourdies, ces gouttelettes se sont déposées à la base des sills, où elles ont été solidifiées. Voilà pourquoi on y trouve des bancs de minerais.
Sachant cela, il peut être tentant de chercher les mêmes minerais dans d’autres trapps. Il existe en Chine méridionale : ce sont les trapps du mont Emei, datés d’environ 258 Ma. Ces éruptions volcaniques ont donc précédé celles de Sibérie de seulement quelques millions d’années. Il est possible qu’elles aient également provoqué une crise biologique, mais de moindre importance, celle de la fin du Guadalupien. Un à deux kilomètres de basalte se sont accumulés sur 330 000 km². Des intrusions de magma comportent des minerais de cuivre, de nickel et de platinoïdes. Il y a également eu des dépôts de vanadium, de titane et de magnétite.
Phil
Merci pour cet article particuièrement intéressant ! En tout cas l’ampleur du phénomène donne le tournis.