Les gneiss d’Acasta sont les plus anciennes roches connues sur Terre, car leur âge atteint 4,031 Ga (milliards d’années). A priori, leur étude est un peu frustrante car elles ne nous disent rien au sujet de la surface de la Terre à cette époque : elles se sont formées et ont évolué dans la croûte terrestre, à quelques kilomètres de profondeur. On ne risque pas de trouver des traces de vie primitive en les observant. Néanmoins, si l’on veut connaître l’histoire de notre planète, elles sont intéressantes, car elles racontent certains processus géologiques qui étaient à l’œuvre à cette époque reculée. Le simple fait qu’il existait une croûte solide mérite d’être noté, puisque ça n’a pas toujours été le cas. Elles permettent de voir des intrusions de magma qui deviennent des roches plutoniques en refroidissant : gabbro, diorite, tonalite, trondhjémite, granodiorite et granite. Toutes ont des cristaux visibles à l’œil nu. Ils ont eu le temps de croître parce que le refroidissement a été lent. Ensuite, ces roches été métamorphisées, c’est-à-dire transformées par des épisodes thermiques ou tectoniques (déformation de la croûte). Elles sont devenues des gneiss. La roche initiale est appelée un protolithe. Ainsi, certains gneiss sont des granites métamorphisés. Ils sont parfois appelé des métagranites.
La présente description est basée sur un article publié en 2007 par neuf géologues dont sept Japonais. Il présente le complexe gneissique d’Acasta d’une manière claire en lui attribuant 450 millions d’années d’histoire, les roches les moins anciennes ayant 3,58 Ga. C’est à peu près l’intervalle de temps qui nous sépare de l’Ordovicien supérieur, époque à laquelle les plantes commençait à l’installer sur les continents. Deux grandes orogenèses (surrections de de montagnes) ont eu lieu pendant ce laps de temps en Europe : les orogenèses hercynienne et alpine. On doit s’attendre à ce que les gneiss d’Acasta aient enregistré plusieurs épisodes de l’histoire de la Terre. On ne peut pas en dire grand-chose mais on arrive à les distinguer. Le seul fait qu’ils se soient produit est intrigant, puisque le système terrestre ne fonctionnait pas comme maintenant. A priori, la tectonique des plaques n’existait pas encore. Les processus de fabrication de magma, par fusion de la croûte ou du manteau, et de métamorphisme étaient donc en partie différents.
Le complexe gneissique d’Acasta fait partie de la province des Esclaves, qui s’étend du Grand Lac des Esclaves (dont le nom provient du nom de la tribu autochtone des Slaves) jusqu’au golfe du Couronnement. Celui-ci communique avec la mer de Beaufort, laquelle fait partie de l’océan Arctique. La superficie de cette province est d’environ 190 000 km². Elle comporte un socle dont l’âge remonte à plus de 2,8 Ga affleurant du côté ouest, indiqué en gris sur la carte géologique (basement gneisses). Les gneiss qui le composent sont des granites métamorphisés. On y récolte aussi des granitoïdes, roches semblables aux granites et formées comme eux à quelques kilomètres de profondeur avant d’être mis à jour par l’érosion. Les autres roches de ce socle sont dites supracrustales car constituées par sédimentation sur la croûte. Il s’agit de roches volcaniques, de quartzite, de conglomérats (des galets soudés) et de formations ferrifères rubanées. Celles-ci comportent des oxydes de fer déposés dans une ancienne mer, peut-être sous l’influence d’une activité biologique. Avant 2,8 Ga, elles étaient encore rares.
Les roches plus récentes indiquées sur la carte, celles du supergroupe de Yellowknife, ont pour la plupart été métamorphisées. Il y a d’anciennes roches volcaniques felsiques et mafiques, les premières étant plus riches en silice que les secondes. Le basalte est le type le plus fréquent de roche mafique. Les turbidites résultent de coulées gravitaires turbulentes de sédiments en milieu marin profond. Les âges de ces roches vont de 2,72 à 2,65 Ga et couvrent 30 % de la province des Esclaves. Le reste, à savoir 50 %, provient d’intrusions de magmas qui se sont solidifiés en granitoïdes datés de 2,62 à 2,58 Ga. La province est bordée à l’ouest par les roches de l’orogenèse de Wopmay. Ce sont des vestiges de montagnes bien plus récentes, car datées de 2,1 à 1,8 Ga. Elles ont été largement érodées depuis ce temps, si bien que seules leurs racines sont visibles. Le paysage est assez plat.
En 2000 et 2002, l’équipe de géologues australo-japonaise s’est rendue sur place pour récolter un millier d’échantillons dans une zone de 6 × 6 km. C’est la partie occidentale du socle, traversée du nord au sud par la rivière Acasta et entourée en blanc sur la carte de droite (Fig. 3). L’enchevêtrement des roches y est particulièrement complexe. L’équipe en a distingué quatre types :
1. Des gneiss dont les protolithes étaient mafiques ou intermédiaires, ce qui veut dire qu’ils avaient une teneur en silice basse à moyenne. Il y avait du gabbro, roche mafique, et de la diorite, roche intermédiaire. Ces roches sont plutoniques. Les équivalents volcaniques du gabbro et de la diorite sont respectivement le basalte et l’andésite.
2. Des gneiss dérivant de roches felsiques : tonalite, trondhjémite, granodiorite et granite. Elles sont riches en silice et claires. Les trois premières, les TTG, sont caractéristiques de la croûte continentale archéenne (de 4 à 2,5 Ga).
3. Une série de gneiss stratifiés, avec une alternance de couches mafiques à intermédiaires sombres et de couches felsiques claires.
4. Des granites foliés ayant conservé des textures magmatiques originelles. La foliation est une orientation des minéraux selon des plans parallèles qui donne à la roche une apparence stratifiée. Dans le cas présent, on voit une alternance de bandes sombres et claires.
Cette zone est séparée en deux parties par une faille nord-sud. Les deux premiers types de roches prédominent dans la partie orientale alors que les deux types suivants figurent plutôt dans la partie occidentale. Il semble qu’elles aient eu des histoires distinctes durant toute la période qui nous intéresse, de 4,03 à 3,58 Ga. Les datations reposent sur l’étude des cristaux de zircons cristallisant dans les magmas felsiques, qui sont de véritables chronomètres.
Dans la partie orientale, le premier évènement est l’arrivée il y a 3,94 Ga d’un magma intermédiaire, qui s’est solidifié en une diorite à quartz, et d’un magma felsique, en particulier tonalitique. Un zircon de 4,2 Ga, unique résidu d’une croûte hadéeene, a été trouvé dans l’une de ces anciennes tonalites. Une deuxième vague de magmas felsiques est survenue il y a 3,74-3,72 Ga, soit 200 à 220 millions d’années plus tard. Le troisième événement est un métamorphisme qui a transformé ces roches en gneiss. Une intrusion de magma granitique, il y a 3,66 Ga, a provoqué en certains endroits la fonte des roches déjà présentes (une anatexie, comme le disent les géologues). Le cinquième événement est un métamorphisme et une déformation enregistrés dans les « jeunes » gneiss felsiques. On note enfin une arrivée de granitoïdes il y a 3,59 Ga.
Dans la partie occidentale, des magmas mafiques à intermédiaires et felsiques se sont mis en place il y a 3,97 Ga. Ces roches sont devenues des gneiss stratifiés par métamorphisme et déformation. Les chercheurs ont démontré qu’une tonalite a été métamorphisée il y a 3,66 Ga (310 millions d’années après sa formation), date correspondant à celle de l’intrusion de magma granitique observée dans la partie orientale. Il s’agit d’un métamorphisme thermique : l’intrusion de magma chauffe les roches dans lesquelles elle se produit. Des granites se sont mis en place il y a 3,58 Ga avant d’acquérir une foliation. Ils sont coupés par la faille, ce qui montre qu’elle avait commencé à jouer avant 3,58 Ga.
Les âgés mesurés n’atteignent pas les 4 Ga comme avec des travaux précédents de Samuel Bowring et Ian Williams, publiés en 1999. Une métatonalite a été datée à 4012 ± 6 Ma (millions d’années). Le principal événement métamorphique qui a transformée cette tonalite en gneiss s’est produit il y a 3611 ± 11 Ma, mais un autre événement plus ancien a été reconnu, il y a environ 3,75 Ga. Une métagranodiorite a reçu un âge record de 4031 ± 3 Ma. Cette granodiorite a été métamorphisée en gneiss il y a 3758 ± 5 Ma, ce qui correspond au premier événement ayant affecté la tonalite. Néanmoins, l’équipe japonaise estime que leur travaux concordent avec ceux de Bowring et Williams. Il suffit de considérer que les premières arrivées de magmas ont commencé il y a 4,031 Ga au lieu de 3,97 Ga. Il n’y a qu’une différence de 60 millions d’années.
De quoi est constitué un gneiss felsique ? Les principaux minéraux sont le feldspath plagioclase, le quartz, la hornblende (silicate sombre du groupe des amphiboles) et la biotite (mica noir). Parmi les minéraux secondaires, figurent du feldspath alcalin (sodique ou potassique), le très précieux zircon, la titanite et l’apatite. Les gneiss mafiques à intermédiaires comportement principalement de la hornblende, du plagioclase, du quartz et de la biotite et accessoirement du feldspath alcalin, du zircon, de la titanite, de l’apatite et du grenat. La métadiorite est dominante dans le complexe. Le métagabbro est abondant au nord de la partie orientale. Il comprend d’abondants porphyroblastes de grenat : de grands cristaux de grenat typiques du métamorphisme.
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Tsuyoshi Iizuka et al., Geology and zircon geochronology of the Acasta Gneiss Complex, northwestern Canada: New constraints on its tectonothermal history, Precambrian Research 153, 179–208, 2007.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301926806002737
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