Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

France

Où étaient autrefois la Corse et la Sardaigne ?

Le massif de l'Estérel

Massif de l'Estérel, cap Roux. Photo Adobe Stock.

On sait que la Corse et la Sardaigne forment un micro-continent qui était allongé contre la Provence il y a un peu plus de 20 millions d’années et qu’il s’est en détaché pour occuper sa position actuelle. Mais depuis quand se trouve-t-il du côté de la France ? De nombreux géologues, et pas des moindres, pensent que le bloc corse-sarde était rattaché à la Catalogne, donc à l’Ibérie, avant de se rapprocher de la Provence. La collision de cet ensemble avec la France aurait créé la grande chaîne pyrénéo-provençale. Pour dire vrai, je ne connais pas leurs arguments. En revanche, je connais de bonnes raisons de penser que la Corse était voisine de la Provence durant l’orogenèse hercynienne. L’argument le plus souvent avancé est que durant le Permien moyen, des éruptions volcaniques se sont produites sur les deux territoires et que leurs laves forment les massifs de l’Estérel en Provence et du Cinto en Corse. Mais il ne peut suffire, car des éruptions semblables ont également laissé des traces dans les Vosges et la Forêt-Noire. Elles caractérisent la fin de l’orogenèse hercynienne. Il faut trouver des similitudes entre les massifs des Maures et du Tanneron, en Provence, et la Sardaigne. C’est l’objet de cet article. Il est indispensable de commencer par lire celui consacré à la chaîne hercynienne car il en est la suite.

Excursion en Provence

Carte géologique des massifs des Maures et du Tanneron d’après Matte, 1991.

Cette première carte montre la géologie des massifs des Maures et du Tanneron. Le Massif de l’Estérel, en blanc, est constitué de laves qui se sont déposées dessus et les ont partiellement cachés. Cet ensemble est coupé en deux par la faille de Joyeuse-Grimaud, mais seul le nom de Joyeuse est marqué. Grimaud se trouve à l’ouest de Saint-Tropez. Dans le Massif du Tanneron, se trouve une autre faille, celle de La Moure, qui se dirige vers Fréjus. Ce sont des failles décrochantes dextres : l’ouest du massif s’est déplacé vers le nord et l’est du massif vers le sud. Mais la faille de Joyeuse-Grimaud n’est pas une simple déchirure de la croûte continentale : elle coïncide presque avec une ancienne suture entre deux continents, le Gondwana à l’ouest et la Laurussia (?) à l’est. Pour preuve, on y trouve des roches qualifiées de complexe leptyno-amphibolitique provenant d’une ancienne croûte océanique. Ce sont des associations de gneiss clairs (ou leptynites) et d’amphibolites, qui sont des basaltes fortement métamorphisés. En conséquence, les roches ne sont pas les mêmes des deux côtés de la faille.

Le métamorphisme est la transformation d’une roche sous l’effet la pression et de la température, sans fusion, où certains minéraux disparaissent et d’autres apparaissent. Ainsi, les argiles donnent des schistes phylliteux (ou phyllades), puis des micaschistes ou des gneiss avec une température croissante. En augmentant encore la température, les roches deviennent des granulites ou commencent à fondre, auquel cas on les appelle des migmatites. Plus exactement, une migmatite est une roche qui a partiellement fondu puis s’est solidifiée. Le liquide, s’il s’échappe de la roche, peut devenir du granite. Cette succession de roches est la séquence pélitique. Les basaltes et les gabbros (roches de la croûte océanique situées sous les basaltes, de même composition chimique), donnent des schistes verts, puis des amphibolites, puis des granulites. Avec une pression plus forte, elle donne plutôt des schistes bleus puis des éclogites. Ces roches forment la séquence basique.

Massif des Maures. @ René Dinkel / Wikimedia Commons.

À l’ouest des Maures, les roches appartiennent surtout à la séquence pélitique. Les roches y sont faiblement métamorphisées et certains schistes phylliteux sont des ardoises. La carte présente cette unité (ce groupe de roches) en bleu. L’unité de Bormes est en jaune ; elle est à la fois à l’est de la première unité et dessous. Elle comprend des gneiss ainsi que des micaschistes, qui ont un métamorphisme plus poussé que ceux de l’ouest. Les gneiss viennent probablement de la croûte continentale du Gondwana tandis que les micaschistes sont issus de sédiments argileux déposés dessus.

Ensuite, figure l’unité de la Garde-Freinet, représentée en bleu clair et composée de gneiss, de micaschistes et d’un complexe leptyno-amphibolitique indiquant la présence d’une ancienne croûte océanique. Il y a même des serpentines, qui sont des péridotites altérées. Ce sont des roches du manteau autrefois situées sous cette croûte. Le métamorphisme y est encore plus poussé que dans l’unité de Bormes et il y a un début de fusion des roches, ayant produit des migmatites. Croissant d’ouest en est, le métamorphisme fait apparaître des minéraux dans l’ordre suivant : chlorite, grenat, biotite, staurolite, kyanite, sillimanite. La chlorite ressemble aux micas. La staurolite, silicate d’alumine et de fer, est habituelle dans le métamorphisme de moyenne pression. La kyanite et la sillimanite sont des silicates d’alumine. La seconde se forme à plus haute température que la première et annonce la fusion de la roche. On reconnaît le métamorphisme barrovien (où la biotite et le grenat sont inversés), caractéristique des zones de collision entre continents. Ce que nous voyons à l’ouest du Massif des Maures, c’est un empilement de nappes de charriage à vergence ouest, c’est-à-dire poussées vers l’ouest.

C’est la faille de Joyeuse-Grimaud qui constitue la frontière orientale de ces roches. La partie orientale du massif des Maures-Tanneron comprend plusieurs types de gneiss et des gneiss migmatitiques représentés en orange, des micaschistes à staurolite-sillimanite-kyanite et des amphibolites. Parmi celles-ci, figurent des reliques d’éclogites provenant d’une ancienne croûte océanique subductée (enfoncée sous la Laurussia puis exhumée). La présence de migmatiques signifie que les gneiss ont fondu. Il y a eu une forte production de granitoïdes (roches de la famille des granites) indiqués en rose. Ils se trouvent dans la zone du Plan-de-la-Tour dans le Massif des Maures et dans la zone du Rouet dans le Massif du Tanneron, juste à l’est de la faille de Joyeuse. La structure en forme de dôme du Rouet est tout à fait remarquable. L’intrusion d’un magma très chaud a provoqué un métamorphisme de contact des roches alentours (une « cuisson » des roches), avec l’apparition d’un cercle de cordiérite. C’est un alumino-silicate ferramagnésien qui apparaît à basse pression et, dans le cas présent, à haute température. Ce magma s’est refroidi en granite et tonalite, une roche plus riche en calcium que le granite.

L’examen des roches situées de part et d’autre de la faille permet de reconstituer leur histoire. Le travail du géologue est de « faire parler » ces roches. Outre leur métamorphisme, il y observe toutes les déformations, à grande échelle comme à l’échelle de la pierre et du minéral. Plusieurs étapes sont distinguées après la collision des deux continents. La première étape, appelée D1, est celle d’un épaississement de la croûte par empilement de nappes de charriage, causant un métamorphisme barrovien, MP-MT (moyenne pression – moyenne température). Elle est datée de 350 à 320 Ma. La deuxième étape, D2, est marquée par un important cisaillement. Les deux continents ont eu une collision frontale puis ont glissé l’un contre l’autre. On parle aussi de convergence oblique, et comme les géologues ne sont jamais à court de vocabulaire, ils utilisent également l’expression de mouvement transpressif. Cela entraîne la formation des failles décrochantes dextres dont j’ai déjà parlé, celle de Joyeuse-Grimaud et celle de la Moure dans le Massif du Tanneron. Des bassins du Carbonifère supérieur (de 323 à 299 Ma) se creusent le long de ces failles. Cette étape est d’ailleurs datée de 320 à 300 Ma. Le cisaillement provoque la montée de gneiss qui se trouvaient dans la croûte continentale inférieure, à une vingtaine de kilomètres de profondeur. La décompression des roches entraîne leur fusion partielle et du magma monte.

Excursion en Sardaigne

Qu’en est-il du bloc corso-sarde ? A priori, on ne peut pas rapprocher la Corse du Massif des Maures, car ils n’ont pas la même structure. Tandis que les Maures occidentales sont surtout composés de micaschistes (avec les gneiss de Bormes en leur centre), la Corse hercynienne est plutôt granitique. En revanche, le socle de la Sardaigne ressemble aux Maures occidentales. Il s’agit en fait de la partie sud de l’île, elle aussi coupée en deux par une grande faille : la faille de Posada-Asinara. Elle passe à côté du village de Posada au nord-est de l’île et se dirige vers l’ouest, où elle traverse la presqu’île de l’Asinara. Elle est décrochante dextre comme celle de Joyeuse-Grimaud. Reconnue en 1992, c’est une bande de plusieurs kilomètres de large comportant des mylonites, roches très déformées par le cisaillement de la faille, et des amphibolites, avec des vestiges d’éclogites. Ces roches proviennent de basaltes d’une croûte océanique métamorphisée qui a pu être datée à 960 Ma.

Carte géologique de la Sardaigne, d’après Carmignani et al., 2016.

Cette carte géologique montre le socle varisque (hercynien) de la Sardaigne. Bien que recouvert à l’ouest par des roches plus récentes, il reste visible sur une plus grande surface que dans le massif des Maures-Tanneron. En partant du sud-est, on rencontre des sédiments non métamorphisés et des ardoises. Vient ensuite la zone des nappes de charriage, dont les nappes externes représentés par cinq unités, puis les nappes internes représentées par l’unité de Barbagia. Le métamorphisme est croissant, du faciès schiste vert au faciès amphibolite. Dans le jargon des géologues, cela ne signifie pas qu’on y trouve des schistes verts, mais que le degré de métamorphisme est le même que dans ces roches. Jusqu’à la faille de Posada-Asinara, s’étend un complexe métamorphique de moyen grade comportant des amphibolites. De l’autre côté de la faille, au nord-est de la Sardaigne, il y a des migmatites et des gneiss migmatitiques constituant le Complexe Métamorphique de Haut Grade (HGMC, en mauve sur la carte), ainsi que des granitoïdes.

Conclusion

On commence à voir la similitude entre la Sardaigne et les massifs des Maures-Tanneron. Elle est résumée en deux coupes géologiques effectuées en 2009 par Michel Corsini et Yann Rolland. En bas, la coupe va du sud de la Sardaigne (Cagliari) au sud-est de la Corse (Porto-Vecchio), en passant par la région de Gallura au nord de la Sardaigne. Les failles de Joyeuse-Grimaud et de Posada-Asinara sont notées JGF et PAF. On remarque que le même métamorphisme barrovien s’observe à gauche des failles. À droite, c’est un tout autre « paysage » avec des migmatiques originaires de la croûte continentale inférieure et des granitoïdes.

Les phases D1 et D2 ont été identifiées. Je ne peux faire mieux que de citer ces deux auteurs : « Les Massifs cristallins externes des Alpes occidentales, le massif des Maures-Tanneron, la Corse et la Sardaigne hercyniennes ont enregistré une évolution structurale, métamorphique, magmatique et géochronologique similaire durant le Paléozoïque. Tout particulièrement, la fin Carbonifère (ca. 320-300 Ma) est caractérisée par la formation de plis d’échelle crustale, en relation avec le jeu de grandes failles décrochantes et le remplissage de bassins intracontinentaux. Dans ce contexte transpressif, se développent des structures en dôme associées à la fusion partielle et à l’exhumation de la croûte inférieure pendant la convergence. » (Résumé de leur article paru dans le numéro 341 des Comptes Rendus Geoscience). Cela semble suffisant pour admettre que la faille de Posada-Asinara se situait dans le prolongement de celle de Joyeuse-Grimaud, comme ceci (MTM, massif des Maures-Tanneron) :

Il devait y avoir plus que quelques failles : il a existé une vaste zone de cisaillement (East Variscan Shear Zone, EVSZ en anglais) entre les deux continents aux mouvements de sens opposés. Les granitoïdes des massifs externes des Alpes, ceux de l’Argentera (Ar), du Pelvoux (Pe), de Belledonne (Be) et du Mont-Blanc, se sont tous formés au même moment, à la fin du Carbonifère, également grâce à la convergence oblique entre les deux continents.

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Philippe Matte, Accretionary history and crustal evolution of the Variscan belt in western Europe, Tectonophysics 196, 309-337, 1991.

Michel Corsini, Yann Roland, Late evolution of the southern European Variscan belt: Exhumation of the lower crust in a context of oblique convergence, C. R. Geoscience 341, 214–223, 2009.

Franco Marco Elter et al., The emplacement of Variscan HT metamorphic rocks linked to the interaction between Gondwana and Laurussia : structural constraints in NE Sardinia (Italy), Terra Nova 22, 369–377, 2010.

L. Carmignani et al., The geological map of Sardinia (Italy) at 1:250,000 scale, Journal of maps, Volume 12, 2016.

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