Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Energies et climat

La mesure de la concentration du dioxyde de carbone atmosphérique dans le présent et le passé

Carottes de glace

Carottes de glace prélevées en Antarctique et stockées à Denver, dans le Colorado, à – 36 °C.

La concentration du CO2 de l’atmosphère est mesurée en continu depuis mars 1958 par un observatoire construit sur le volcan Mauna Loa, dans l’archipel de Hawaii. L’équipement utilisé a été mis en point par Charles David Keeling (1928-2005), qui était géochimiste à la Scripps Institution of Oceanography à La Jolla en Californie. L’unité employée est la partie par million en volume (ppmv). La première mesure effectuée a donné 315 ppmv. Cela signifie que l’air sec (sans vapeur d’eau) comprenait 315 millionièmes de CO2, ou encore 0,0315 %. Il est très vite apparu que cette concentration atteignait un maximum durant le printemps boréal et un minimum durant l’automne boréal. C’est la croissance de la végétation au cours du printemps et de l’été qui fait baisser la teneur en CO2, grâce à la photosynthèse. Les plantes respirent comme les animaux, en émettant du CO2, mais durant l’été boréal, la « consommation » de CO2 par la photosynthèse supplante son émission. Durant l’hiver boréal, la situation est inversée. L’hémisphère austral est alors au printemps, mais la végétation y est moins abondante qu’au nord. Les forêts tropicales n’interviennent pas dans ces variations. C’est par conséquent l’hémisphère boréal qui fait varier la concentration globale du CO2.

Mesures effectuées au Mauna Loa de 1958 à 2022.

Le CO2 se mélange rapidement dans l’atmosphère, porté par les vents. Une île au milieu de l’océan Pacifique est donc un excellent endroit pour mesurer sa concentration. Elle est à l’écart des grands centres urbains, qui sont d’importants émetteurs de CO2 et fausseraient les mesures. La nuit, elle est sujette à des inversions thermiques : la température de l’air augmente avec l’altitude. La station, située à 3 397 mètres d’altitude, est ainsi protégée de la production de CO2 par la végétation locale et le sol. Ce gaz reste confiné dans des couches très basses et n’atteint les couches supérieures que durant la journée. Le Mauna Loa est un volcan encore actif, qui émet du CO2, mais on sait où les gaz volcaniques sont émis et d’où viennent les vents dominants. Ainsi, les gaz volcaniques ne faussent généralement pas les mesures, et dans le cas contraire, cela se voit. Les éruptions sont plus gênantes. Celle qui s’est déclenchée le 27 novembre 2022 a contraint les scientifiques à installer l’équipement au Mauna Kea. Elle s’est terminée le 13 décembre de la même année.

Mesures effectuées depuis 1974 en Alaska, à Hawaii, dans les Samoa américaines et au pôle Sud.

Cette station est souvent citée, mais bien entendu, ce n’est pas la seule à mesurer la concentration du CO2, ainsi qu’en d’autres gaz à effet de serre. Les Américains se sont installés à partir de 1956 au pôle Sud. Dès l’année suivante, une station a fourni les premières mesures. Elle fait partie d’un réseau mondial financé par l’agence océanographique et météorologique américaine, la NOAA. C’est le Global Greenhouse Gas Reference Network. Outre Mauna Loa et le pôle Sud, il comprend la station Barrow au nord de l’Alaska et une autre située dans les Samoa américaines, sur l’île de Tutuila. Elles ont respectivement été mises en activité en 1973 et 1974. L’Europe possède son propre réseau, appelé Integrated Carbon Observatory System, mais il n’est pas mondial. Il comprend 39 stations atmosphériques réparties dans 14 pays surtout européens.

Les stations de mesure du CO2 en Alaska, à Hawaii, dans les Samoa américaines et au pôle Sud.

Les résultats obtenus sont cohérents. Les variations annuelles de la concentration du CO2 se superposent à une augmentation constante. Entre 1958 et 2005, elle est passée de 315 à 380 ppmv. En mars 2023, elle a atteint les 421 ppmv au Mauna Loa. Les variations annuelles causées par la végétation de l’hémisphère boréal ne sont pas visibles au pôle Sud, mais pas non plus dans les îles Samoa, situées à 14° de latitude Sud dans le Pacifique occidental. En revanche, elles sont accentuées en Alaska. Du CO2 des régions tempérées est donc transporté vers l’Arctique. Les météorologistes font des calculs à partir de ces courbes, notamment pour supprimer les variations saisonnières.

Les appareils de mesure

L’appareil imaginé par Charles Keeling et mis au point par Applied Physics Corp. est basé sur la capacité des gaz à absorber les rayonnements dans certaines longueurs d’onde. Le CO2 est absorbant dans l’infrarouge, propriété à l’origine de l’effet de serre radiatif. De l’air est placé dans un tube de 40 cm de long. Il est éclairé d’un côté par une source de rayonnement infrarouge dont les longueurs d’onde sont très proches des bandes d’absorption du CO2. La quantité de rayonnement absorbée est par conséquent proportionnelle à la quantité de CO2 présent dans le tube. Comme ce gaz est peu abondant, le tube doit être long.

Un détecteur d’infrarouge, au fonctionnement assez révolutionnaire, est installé de l’autre côté. Le faisceau d’infrarouge traversant le tube clignote avec une fréquence de 20 hertz. Il entre ensuite dans une cavité comportant du CO2. Chaque fois qu’il absorbe de l’infrarouge, le gaz se dilate, puis il se contracte en se refroidissant. La succession des dilatations et des contractions se fait avec la fréquence de 20 hertz, créant un bruit enregistré par des microphones. Ainsi, le faisceau d’infrarouge est transformé en un son dont l’intensité dépend son absorption lors de sa traversée du tube.

Photo d’un analyseur de gaz à infrarouge de Keeling, par Daniel C. Harris, 2010.

En fait, deux tubes sont utilisés. L’un d’eux, au milieu sur la photo, contient de l’air de référence débarrassé de toute sa vapeur d’eau et de tout son CO2 grâce à son passage dans une trappe, qui est le tube fin du côté du photographe. Il faut assécher l’air car la vapeur d’eau absorbe les infrarouges. Cela se fait par condensation à – 100 °C. L’échantillon d’air dont la teneur en CO2 doit être mesurée passe dans le troisième tube. La source d’infrarouge, située à droite sur la photo, est un filament de nichrome, un alliage non magnétique de nickel et de chrome. Un dispositif tournant fait clignoter les deux faisceaux d’infrarouge. Après avoir traversé les tubes, de droite à gauche, les faisceaux entrent dans les détecteurs. Un circuit mesure la différence de réponse entre les deux microphones. Des mesures faites avec un manomètre à mercure corroborent celles obtenues avec cet appareil. Le manomètre est précis mais chaque mesure prend une demi-journée.

Aussitôt fabriqué, un exemplaire de cet appareil a été envoyé en Antarctique. Un second a été installé sur un bateau et le troisième est parti sur le Mauna Loa, où il a fonctionné jusqu’en 2006. Un quatrième exemplaire a été dévolu à la Scripps Institution of Oceanography.

Spectroscope à cavité optique
Principe du spectroscope à cavité optique. Un laser YAG utilise du grenat, de l’yttrium et de l’aluminium.

Depuis 2019, un nouvel analyseur a été mis en service : un spectroscope à cavité optique (cavity ring-down spectroscopy, CRDS, en anglais). La NOAA en fait la description suivante. Le CRDS est basé sur la mesure du taux d’absorption, plutôt que sur l’amplitude de l’absorption, de la lumière circulant dans une cavité optique. Le faisceau d’un laser pénètre dans une cavité composée de deux ou plusieurs miroirs hautement réfléchissants. Le faisceau laser est réfléchi dans les deux sens à l’intérieur de la cavité, appelée « cavité annulaire ». Le laser est ensuite éteint et l’intensité lumineuse à l’intérieur de la cavité s’échappe régulièrement et décroît jusqu’à zéro de manière exponentielle. Un détecteur mesure l’intensité de la lumière transmise en fonction du temps. Le temps de décroissance est appelé temps d’amortissement de la cavité. En comparant les temps d’arrêt lorsque le laser est à une longueur d’onde que la molécule de CO2 n’absorbe pas au temps d’arrêt lorsque le laser est à une longueur d’onde que la molécule absorbe, la quantité de CO2 peut être calculée (l’analyseur mesure également le CH4 et le CO).

Les archives climatiques glaciaires

Pour connaître les teneurs en gaz à effet de serre de l’atmosphère avant 1958, on utilise des carottes de glace prélevées en Antarctique. Ce sont de véritables archives climatiques qui ont joué un rôle majeur dans le développement de la paléoclimatologie, même si elles ne remontent pas au-delà de 800 000 ans. Les couches de neige fraîchement tombées (formant un névé) contiennent des interstices dans lesquelles de l’air peut circuler. Quand ces couches se tassent, la neige se transforme en glace et les interstices deviennent des bulles isolées. Elles représentent des échantillons d’atmosphère prélevés très loin des sources anthropogéniques et biologiques de CO2. Au fil du temps, si la glace est enfouie à plus de 500 mètres de profondeur, la pression contraint les molécules présentes dans les bulles d’air à s’incorporer dans le réseau cristallin de la glace, en formant des clathrates. Cela complique leur analyse.

Ces précieuses bulles d’air sont étudiées depuis des décennies. Les scientifiques savent dans quelles conditions leur contenu est correctement conservé et quand il peut être altéré. La glace, quand elle est pure, est un contenant inerte pour le CO2. En revanche, si elle comporte beaucoup d’impuretés ou si elle est sur le point de fondre à cause de températures insuffisamment basses, des réactions chimiques impliquant le CO2 peuvent se produire. C’est la raison pour laquelle les scientifiques préfèrent prélever les carottes de glace en Antarctique plutôt qu’au Groenland.

Carottage australien au dôme Law

Au cours des années 1980, le CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation, l’équivalent du CNRS en Australie) a prélevé trois carottes dans le dôme Law, qui se trouve dans le secteur australien de l’Antarctique. La carotte DE08 a été extraite en 1987 et mesure 234 mètres de long. L’accumulation de glace s’est effectuée à une vitesse de 110 grammes par centimètre carré et par an. La carotte DE08-2, prélevée en 1993, a des caractéristiques similaires. En revanche, DSS atteint une longueur de 1 200 mètres et il a fallu plusieurs années pour l’extraire. De tels taux d’accumulation sont très élevés. Ils correspondent à des précipitations de 60 à 110 cm par an, en équivalent eau. Ils permettent une bonne résolution temporelle (la plus courte période qui peut être distinguée). De plus, les couches de neige ont été peu perturbées par les vents. Elles se sont déposées de manière régulière et contiennent peu d’impuretés.

Carottes antarctiques
Lieux de prélèvement des carottes en Antarctique. Le dôme Fuji a été foré par les Japonais. Il a permis de remonter jusqu’aux 720 000 dernières années.

Pour dater la glace, la méthode utilisée combine trois indicateurs : la composition isotopique de son oxygène, sa conductivité électrique (liée à l’acidité de l’eau) et sa concentration du peroxyde d’hydrogène H2O2 (produit par la photochimie atmosphérique). Ces trois paramètres varient de manière saisonnière, si bien qu’il est possible de compter les années une par une. Deux couches acides ont été attribuées à l’éruption du volcan Agung en 1963 et à celle du Tambora en 1815, qui se sont produites en Indonésie. Une troisième éruption détectée est celle du volcan Kuwae au Vanuatu en 1458. Une quatrième n’a pas pu être identifiée par les chercheurs du CSIRO. C’était celle du volcan Samalas en Indonésie, en 1257, qui a été la plus violente de toutes. Les grandes éruptions volcaniques émettent du dioxyde de soufre qui est capable de faire le tour du globe. Ce gaz provoque la formation de sulfate dans l’atmosphère, d’où une acidification des nuages.

Carotte extraite du dôme Law en 2008. ©  Vin Morgan / Australian Antarctic Division.

Le problème est que les bulles d’air sont toujours plus jeunes que la glace environnante. La composition de l’air du névé peut varier tant que ses molécules sont en mesure de se déplacer dans les interstices. Dans la zone diffusive, où l’air est statique, les molécules les plus lourdes ont tendance à se diriger vers les zones froides et basses. Les molécules légères ont un comportement inverse. Pour les carottes DE08 et DE08-2, les bulles d’air ont été fermées à une profondeur de 72 mètres au bout de 40 ans. Pour DSS, ces chiffres sont respectivement de 66 mètres et de 68 ans. Ainsi, ces carottes ont enregistré une période allant de l’an 1006 jusqu’à 1978, soit un peu moins d’un millénaire. Un fait très important est que leurs teneurs en CO2 correspondent à celles qui ont été mesurées à Hawaii et au pôle Sud sur une vingtaine d’années : les courbes se raccordent.

Comparaison des concentrations du CO2 mesurées dans les trois carottes du dôme Law et dans l’air du pôle Sud.

Les résultats des analyses ont été présentés en 1996 par David Etheridge. Un chercheur français, Jean-Marc Barnola, y a participé. Les scientifiques du CSIRO ont continué leurs recherches et ont publié leurs résultats en 2006, signés par Cecelia MacFarling parce qu’elle en avait fait sa thèse de doctorat. Les mesures ont été améliorées et étendues, au méthane et au protoxyde d’azote, ainsi qu’aux deux derniers millénaires. Les teneurs en gaz à effet de serre ont peu varié durant toute cette période, sauf durant les 200 dernières années. Elles ont alors beaucoup augmenté. Une baisse remarquable, d’environ 10 ppmv pour le CO2, a cependant eu lieu autour de l’an 1600.

Lame de glace avec des bulles d’air pré-industriel, dans un laboratoire du CSIRO. @ D. Etheridge.

Carottages européens

D’autres carottages ont été effectuées par les Européens. Leur projet s’appelle EPICA, European Project of Ice Coring in Antarctica. C’est à lui que l’on doit la carotte de 3 270 mètres de long, dont l’extraction s’est terminée en 2004, qui a permis aux scientifiques de remonter jusqu’aux 800 000 dernières années. Elle a été prélevée sur le dôme C en Antarctique oriental, près de la station Concordia. Mais la Terre de la Reine-Maud (Dronning Maud Land, DML, en anglais), sous contrôle norvégien, a été également forée. Les premières mesures ont été faites quand la carotte était toujours en cours d’extraction. Les chercheurs ont broyé des échantillons de 6 à 8 grammes de glace à chaque intervalle de profondeur de 6 à 10 cm et ont mesuré la pression partielle (c’est-à-dire la concentration) du CO2 par spectrométrie laser infrarouge. Le CSIRO avait utilisé la chromatographie en phase gazeuse, qui sépare les molécules d’un mélange gazeux.

Mesures de concentration effectués grâce au carottage EPICA de la Terre de la Reine-Maud, avec barres d’erreur.

La période étudiée va de 950 à 1900. Les résultats tournent autour de 280 ppmv avec des barres d’erreur de 0,5 à 2,5 ppmv, sauf après 1800, année à partir de laquelle une forte augmentation apparaît. La résolution temporelle n’est pas très bonne à cause d’un taux d’accumulation faible : elle est d’environ 15 années. Il est donc impossible de compter les années une par une. Ces résultats ont été présentés en 2005 par l’équipe d’Urs Siegenthaler de l’Université de Berne. Jean-Marc Barnola a participé à l’étude. Il était alors au LGGE, le Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l’Environnement de Grenoble.

Carottages américains

Les Américains sont également entrés en scène, avec un carottage effectué de 1997 à 1999 dans le dôme Siple, à proximité de la mer de Ross. C’est un secteur non revendiqué de l’Antarctique occidental, situé du côté de l’océan Pacifique. Les travaux ont été financés par la National Science Foundation des USA. La carotte a un peu plus de 1 000 mètres de long et recouvre une période de 40 000 ans. Elle comprend donc le dernier maximum glaciaire et l’Holocène (la série géologique actuelle, entamée il y a 11 700 ans). Le taux d’accumulation de 12,4 grammes par centimètre carré et par an est élevé, ce qui permet de compter les années une par une jusqu’en l’an 8 200 avant le présent (avant 1950). Au-delà, ce n’est plus possible et l’on utilise une corrélation basée sur le méthane avec la carotte GISP2 du Groenland.

Carotte avec des cendres volcaniques.
Une tranche de la carotte WAIS Divide. On voit une couche de cendres volcaniques qui s’est déposée il y a environ 21 000 ans. Crédit: Heidi Roop, NSF.

Quoique les mesures de CO2 s’étendent jusqu’à une période récente, les auteurs de la présentation parue en 2004 ne s’y sont pas attardés, préférant parler de la fin de la dernière glaciation. Ils ont essayé d’expliquer pourquoi les concentrations mesurées sont parfois supérieures à celles d’autres carottes (dôme Taylor et dôme C), jusqu’à 20 ppmv. Il se peut que la glace ait fondu en surface, la température moyenne annuelle du dôme Siple n’étant pas assez basse. Du carbonate de calcium CaCO3 apporté par les vents a pu réagir avec un acide pour donner du CO2, mais cela ne paraît pas suffisant pour expliquer l’excès de CO2. Il est également possible que du CO2 ait été produit par réaction de composés organiques avec du peroxyde d’hydrogène.

Le forage commencé durant la saison 2005-2006 en Antarctique occidental, également financé par la NSF, a été effectué sur une « ligne de partage des glaces », semblable à une ligne de partage des eaux : la glace s’écoule d’un côté vers la mer de Ross et de l’autre vers la mer de Wedell. La glace est par conséquent stable sur cette ligne. Elle l’est également sur les « dômes » où les autres carottes ont été extraites. Ce sont des collines au sommet desquelles elle est statique. En décembre 2011, les scientifiques ont annoncé avoir atteint la profondeur de 3 405 mètres, à 50 mètres du socle rocheux, ce qui fait de cette carotte la plus longue extraite par les Américains. Elle permet de remonter le temps sur 68 000 ans. Elle est appelé WAIS Divide (Western Antarctic Ice Sheet Divide). Ce cylindre de 12,2 centimètres de diamètre a été coupé en morceaux d’un mètre de long entreposés à – 36 °C à la National Science Foundation – Ice Core Facility (auparavant appelée National Ice Core Laboratory) à Denver au Colorado. De là, ils ont été confiés à différentes institutions.

Lame de glace
Lame de glace avec des bulles d’air. Crédit: Ed Brook.

Les 298 premiers mètres ont été étudiés de 2007 à 2010 à l’université d’État de l’Oregon, à Corvallis. Ils ont été extraits sans fluides de forage, susceptibles de contaminer le gaz de la carotte. Ces fluides sont utilisés dans les forages profonds pour éviter que le puits ne se referme. Les années peuvent être comptées une par une, mais la carotte n’a fourni des informations fiables sur le CO2 qu’à partir de 1940, à une profondeur de 78,6 mètres. Les mesures de CFC-12 (le dichlorodifluorométhane), utilisé comme propulseur dans les aérosols jusqu’en 1996, dans l’air du névé et les bulles d’air de la glace à moins de 78,6 mètres de profondeur ont indiqué qu’une contamination s’était produite après le carottage. Les échantillons de glace ont été envoyés à Corvallis, où les chercheurs les ont découpés en morceaux de 8 à 12 grammes. Ils ont extrait l’air par broyage de la glace et l’ont transféré dans des tubes à – 262 °C. La concentration du CO2 a été mesurée par chromatographie en phase gazeuse.

Concentrations du CO2 mesurées grâce à WAIS Divide, au dôme Law et à la Terre de la Reine-Maud pour les 1000 dernière années.

Les analyses ont confirmé la baisse de la teneur en CO2 (et en méthane) autour de l’an 1600, observée pour la première fois grâce au dôme Law. Elle a été estimée à environ 7 ppmv et s’est étalée sur une période de 20 à 50 ans. De 1000 à 1800, les variations du CO2 atmosphérique sont statistiquement corrélées aux climats de l’hémisphère boréal et aux températures marines de surface de la zone tropicale indo-pacifique. L’accord entre les deux carottes n’est pas parfait. Il est possible qu’un lissage se soit produit, mais on ignore de quelle manière. La carotte du dôme Siple a montré que la diffusion du CO2 dans la glace, après la fermeture des bulles, est négligeable. Un autre problème est que WAIS Divide donne des teneurs en CO2 parfois supérieures de quelques ppm au dôme Law. Les scientifiques ont avancé les mêmes explications que pour le dôme Siple, sans certitude.

Malgré ces légers désaccords entre les différentes carottes, l’évolution de la concentration du CO2 durant le dernier millénaire apparaît de manière assez claire. Son augmentation depuis le début de l’ère industrielle est spectaculaire.

Des mesures chimiques à considérer avec prudence

Des mesures de concentration du CO2 ont été effectuées dès le XIXe siècle par différents procédés. Le plus utilisé avant 1960 était chimique. Il s’agissait de titrimétrie, une technique de dosage permettant de déterminer la concentration d’une espèce chimique en solution. Pour mesurer le CO2, on fait passer des bulles d’air dans une solution alcaline d’hydroxyde de baryum Ba(OH)2. Ce composé réagit avec le CO2 pour donner du carbonate de baryum BaCO3, insoluble dans l’eau, et de l’eau. De l’hydroxyde de potassium ou de sodium peut également être utilisé. Le titrage se fait avec de l’acide chlorhydrique, sulfurique ou oxalique. La technique a été mise au point en 1857 par le chimiste et hygiéniste allemand Max Joseph von Pettenkofer (1818-1901).

Compilation de mesures de concentration du CO2 effectuées entre 1800 et 1955, présentée par Stig Fonselius et al., 1956. Les valeurs retenues par Callendar sont entourées, ainsi que celles obtenues en 1955 par l’équipe de Fonselius.

Au début du XIXe siècle, les mesures n’étaient pas précises. On observe une grande dispersion des résultats : ils vont de 250 à 600 ppmv. À partir de 1860, les résultats se concentrent autour de 300 ppmv, certainement grâce à l’amélioration des techniques. Dès 1938, l’ingénieur anglais Guy Stewart Callendar (1898-1964), spécialiste de la vapeur d’eau et climatologue amateur, a pensé que la concentration du CO2 augmentait à cause de l’utilisation des combustibles fossiles, et que la surface de la Terre se réchauffait par conséquent. Il en est resté persuadé jusqu’à sa mort, malgré le scepticisme ambiant. En sélectionnant les mesures effectuées avec le plus grand soin, il a estimé que la concentration du CO2 était d’environ 294 ppmv entre 1865 et 1900, puis qu’elle est montée à 322 ppmv entre 1900 et 1935, estimations confirmées par les carottes de glace.

Estimation de la concentration en CO2 estimée par Callendar pour la fin du XIXe siècle et concentrations mesurées au dôme Siple et dôme Law, à partir de 1600, d’après Stefan Rahmstorf.

Peu avant que Keeling n’imagine son appareil, les Suédois ont effectué une campagne de mesures par titrimétrie. Les résultats ont été présentés en 1956 par Stig Fonselius, Folke Koroleff & Karl-Erik Wärme. Ils sont assez décevants parce qu’ils sont très variables. Les conditions météorologiques ont été mises en cause. Les masses d’air en mouvement ont manifestement des teneurs différentes en CO2. Par exemple, un front chaud a traversé la Finlande le 20 septembre 1955, en direction de l’ouest. Il avait une teneur en CO2 supérieure à 350 ppmv tandis qu’ailleurs en Scandinavie, où il continuait à faire froid, la concentration du CO2 était inférieure : elle descendait par endroits sous les 320 ppmv. Tout cela montre la difficulté des mesures sur les continents, où l’activité humaine et la végétation peuvent avoir une grande influence.

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Stig Fonselius, Folke Koroleff & Karl-Erik Wärme, Carbon Dioxide Variations in the Atmosphere, Tellus VIII, 1956.

D.M. Etheridge et al., Natural and anthropogenicc hangesin atmospheric CO2 over
the last 1000 years from air in Antarctic ice and firn, Journal of the Geophysical Research, Vol. 101, February 20, 1996.

C. MacFarling Meure et al., Law Dome CO2, CH4 and N2O ice core records extended to 2000 years BP, Geophysical Research Letters, 21 July 2006.

Jinho Ahn et al., Atmospheric CO2 over the last 1000 years: A high-resolution record from the West Antarctic Ice Sheet (WAIS) Divide ice core, Global Biogeochemical Cycles, 26, 2012.

Urs Siegenthaler et al., Supporting evidence from the EPICA Dronning Maud Land ice core for atmospheric CO2 changes during the past millennium, Tellus B: Chemical and Physical Meteorology, 57:1, 51-57, 2017.

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