Histoire de la Terre et de la vie - Actualités géologiques

Actualité

Comment les animaux ont survécu aux glaciations globales de la Terre

Durant le Néoprotérozoïque, une période s’étendant de 1 000 à 541 Ma (millions d’années), la Terre a connu plusieurs glaciations sévères. Elle est comparée à une boule de neige (de l’anglais snowball), mais on devrait plutôt parler de boule de glace. Les géologues distinguent deux glaciations globales, dites sturtienne et marinoenne, durant le Cryogénien (de 720 à 635 Ma). Une autre glaciation sévère mais peut-être pas globale s’est produite il y a 580 Ma. On l’appelle la glaciation varangienne ou de Gaskiers. C’est après elle que la faune d’Ediacara est apparue. Elle est composée d’organismes à corps mous, vivant sur le plancher des mers, filtrant sans doute leur eau, qui restent difficile à interpréter. Ils ne sont apparemment pas les ancêtres des bilatériens, qui comprennent tous les animaux actuels sauf les éponges et les cnidaires (méduses, coraux…). La période allant de 635 à 541 Ma est l’Édiacarien. C’est ensuite, durant le Cambrien, qu’une explosion de la vie se produit dans les mers, avec notamment le développement des bilatériens. Mais les premiers d’entre eux étaient déjà présents à la fin de l’Édiacarien.

Reconstitution de la faune d’Ediacara par Franz Anthony.

Des algues et des éponges dans les mers du Cryogénien

La glaciation sturtienne a duré entre 50 et 60 Ma. La durée de la glaciation marinoenne, plus courte, est estimée à 15 Ma. Les océans devaient être recouverts d’une couche de glace atteignant un kilomètre d’épaisseur. Elle a dû être plus mince en certains endroits, suffisamment pour laisser passer la lumière du Soleil et permettre à la photosynthèse d’alimenter des écosystèmes marins. Il a même sûrement existé des zones libres de glace. Des traces d’organismes unicellulaires du Cryogénien sont connues et l’on sait que des groupes d’algues existant il y a plus de 750 Ma ont survécu aux glaciations sturtienne et marinoenne. Certaines ont été fossilisées pendant cette période.

Il se pourrait que les éponges soient apparues durant le Tonien (de 1 000 à 720 Ma), une période précédant l’Édiacarien, et aient donc également survécu à ces glaciations. En 2021, Elizabeth Turner a annoncé la découverte de possibles fossiles d’éponges au nord-ouest du Canada, datés d’environ 890 Ma. Ces structures se trouvent à proximité immédiate d’un récif construit par des cyanobactéries calcifiantes : des bactéries pratiquant la photosynthèse oxygénique et entraînant la précipitation de calcite, qui est le principal minéral du calcaire. La concentration en oxygène atmosphérique de l’époque permettait l’existence de ces animaux. Grâce à la découverte d’air dans des cristaux de halite, on sait qu’il y a environ 815 Ma, elle était juste deux fois moins élevée que maintenant.

La vie dans les mers glacées

Comment les animaux ont-ils vécu pendant les glaciations néoprotérozoïques ? Ont-elles influencé leur évolution ? Trois scientifiques britanniques, Huw Griffiths, Rowan Whittle et Emily Mitchell, ont abordé le problème d’une manière originale : en étudiant les écosystèmes de l’Antarctique. Le premier est un biologiste marin du British Antartic Survey. Ce continent est presque entièrement recouvert par une épaisse calotte glaciaire, dont la surface est de 14,8 millions de kilomètres carrés. Elle s’écoule lentement vers la mer, sur laquelle elle peut subsister sous la forme de plateaux de glace appelés des barrières ou des plate-formes. Ils ont entre cent mètres et un kilomètre d’épaisseur et recouvrent un tiers du plateau continental. Ces barrières se trouvent donc sur la partie immergée du continent Antarctique, au sens géologique du terme, et non pas sur l’océan. Elles flottent sur une faible épaisseur d’eau. Les deux plus grandes, celles de Ross et de Ronne-Filchner, ont environ 500 000 km² de superficie. Des icebergs, parfois de grandes dimensions, se détachent de ces barrières.

Carte de l'Antarctique

La photosynthèse est impossible sous ces barrières mais les courants amènent de la nourriture : du phytoplancton et des débris d’organismes morts. Sous la barrière de Ross, des amphipodes (de petits crustacés), des poissons, des méduses et des cténophores (des animaux non bilatériens autrefois confondus avec les méduses) ont été observés à 700 km de l’eau libre la plus proche, grâce à des forages à travers la glace. Sous la barrière de Ronne-Filchner, à 260 km du front de glace, une communauté d’animaux sessiles (attachés), dont des éponges, vit sur un rocher. Ces observations laissent supposer que la vie animale est possible jusqu’à 1 500 km du front.

La banquise (ou glace de mer) est beaucoup moins épaisse. Résultant de la solidification de l’eau de mer, elle n’a qu’un à deux mètres d’épaisseur. Elle n’arrête donc pas la lumière du Soleil, mais ne fait que la réduire, si bien que la photosynthèse reste possible dans la mer. Autour de l’Antarctique, sa surface atteint un maximum de 18 millions de kilomètres carrés en septembre. Elle régresse durant l’été austral, jusqu’à environ 3 millions de km². Les biologistes ont répertorié un millier d’espèces d’eucaryotes unicellulaires (des cellules à noyau), en plus des bactéries, qui nourrissent des invertébrés et des poissons. L’océan austral est connu pour son krill. Il s’agit de petits crustacés, dont Euphausia superba et Euphausia crystallorophias. L’anémone (de l’embranchement des cnidaires) Edwardsiella andrillae se fixe sous la banquise.

Interactions entre la cryosphère et la mer durant (a) les glaciations globales du Cryogénien et (b) la glaciation de Gaskiers et le dernier maximum glaciaire de l’Antarctique. Griffiths et ses collègues considèrent la Terre durant cette glaciation comme étant une « boule de neige fondue » (slushball). De l’eau chaude monte vers une polynie, se refroidit en surface et redescend après avoir apporté de l’oxygène et de la nourriture sous une plate-forme de glace. Un vent catabatique froid descend vers la mer sous l’effet de son poids. Des courants de turbidité sont indiqués le long du talus continental. (c) De l’eau circumpolaire chaude arrive sur le plateau continental de l’Antarctique, se refroidit au contact du vent catabatique et redescend sur le plancher océanique. (d) Changements saisonniers sur le plateau continental antarctique actuel. D’après Griffiths et al., 2022.

Si la vie est très difficile sur les terres émergées, l’océan Austral possède un riche écosystème, et paradoxalement, le climat glacial y est pour quelque chose. Quand l’eau de mer gèle, les sels restent dans la phase liquide. Il se forme une eau salée et par conséquent dense qui « coule » en apportant dans les profondeurs océaniques de l’oxygène dissous – et plus l’eau est froide, plus elle peut dissoudre de gaz. De plus, l’eau de mer se refroidit au contact des barrières et dans les polynies (des zones non recouvertes par la banquise). Elle « coule » par augmentation de densité. La glaciation de Gaskiers, moins longue et moins grave que celles du Cryogénien, aurait tout de même duré dans les 340 000 ans, avec des glaces descendant jusqu’à 30 ° de latitude. Sur les océans, il s’agissait surtout de banquise, qui n’empêchait pas la photosynthèse. Le taux d’oxygène atmosphérique était très bas, mais il se peut que la plongée d’eaux froides ait apporté dans les profondeurs océaniques suffisamment d’oxygène, ainsi que de la nourriture et des nutriments, pour y maintenir une vie animale. Cela pouvait se faire, par exemple, sous les polynies.

Autour de l’Antarctique, la vie marine se concentre sur les plateaux continentaux parce qu’ils sont peu profonds et qu’ils sont éclairés par la lumière du Soleil. Cependant, à des profondeurs inférieures à 30 mètres, des phénomènes glaciaires peuvent détruire la faune. C’est le cas de la glace de fond (anchor ice en anglais), qui se forme sur le fond marin à proximité d’une barrière ou d’une langue glaciaire. Elle est susceptible de tuer de nombreux animaux sessiles et de déloger ceux qui sont en mesure se déplacer. Les icebergs peuvent également détruire des communautés animales en raclant le fond marin. Cela se fait généralement à moins de 25 mètres de profondeur, mais des dégâts peuvent être effectués jusqu’à 500 mètres de profondeur. La fin de chaque glaciation est destructrice car elle fragmente les barrières en icebergs qui sont ballottés par les marées. Néanmoins, la fonte d’un iceberg apporte des nutriments prélevés sur le continent, qui est bénéfique au phytoplancton.

Reconstitution, par Franz Anthony, de la vie sous une plate-forme de glace durant le Cryogénien et l’Édiacarien (à gauche) et sous une banquise édiacarienne (à droite). Des animaux actuels ont été mis en médaillon : (a) Edwardsiella andrillae, (b) diatomées Melosira arctica en colonies filamenteuses, (c) éponges à tige et poisson, (d) éponges, anémones et crinoïdes représentant une communauté benthique antarctique sous-glaciaire typique. D’après Griffiths et al., 2022.

Les barrières étaient plus étendues pendant le dernier maximum glaciaire, il y a entre 33 000 et 14 000 ans. On pense qu’elles s’étendaient jusqu’au talus continental, c’est-à-dire jusqu’au bord du continent Antarctique, où le plancher marin descend vers les abysses océaniques. Il se peut que la glace soit descendue jusqu’à 600 mètres de profondeur, forçant les animaux qui pouvaient s’adapter à vivre sur le talus à de telles profondeurs, mais ils s’exposaient à des dépôts de sédiments dévalant cette pente dans des courants de turbidité. Cependant, même durant cette période, le plateau continental n’a pas été totalement recouvert par la glace. Il existait des endroits où les animaux pouvaient se réfugier, comme le détroit de Bransfield à l’extrémité de la péninsule Antarctique, du côté sud-américain, et la baie de Prydz du côté de l’océan Indien. On sait qu’une faune endémique héritée du Gondwana a survécu dans la mer, dans lacs d’eau douce et sur terre jusqu’au dernier maximum glaciaire, malgré toute une série de glaciations précédentes. Le Gondwana incluait l’Australie et l’Antarctique oriental. Ces deux derniers continents ont commencé à se séparer vers la fin de l’Éocène (de 56 à 34 Ma), époque durant laquelle ils n’était pas encore englacés.

L’existence de refuges séparés durant le Cryogénien et la glaciation de Gaskiers a pu encourager la spéciation : la création de nouvelles espèces à partir d’ancêtres communs. Cela se produit surtout quand les animaux s’installent sur des territoires séparés (spéciation allopratique). Ils évoluent différemment parce qu’ils n’ont plus de relation. C’est parce que les lions, les léopards, les tigres et les jaguars se sont géographiquement séparés qu’ils sont devenus distincts. Pour les espèces marines, les refuges ont pu être des zones épargnées par les glaces, mais aussi des « oasis » d’oxygène. On est certain que les océans manquaient d’oxygène durant le Cryogénien parce que les ions ferreux s’y sont accumulés, ce qui n’aurait pas été possible en présence de ce gaz.

Durant les derniers 15 millions d’années, l’Antarctique a connu une succession d’avancées et de reculs des glaciers qui ont entraîné des extinctions d’espèces, mais également des épisodes de diversification. Au lieu d’avoir été fatale à la vie marine, elle a guidé son évolution. On peut supposer que la même chose s’est produite durant le Cryogénien et l’Édiacarien, avec en plus le problème de l’oxygène. L’absence de fossiles se comprend aisément, car la fossilisation d’un animal mort est un phénomène rare, surtout quand il a un corps mou. Si les icebergs étaient capables de détruire des communautés animales, ils étaient également capables d’empêcher toute fossilisation.

Des glaciations en réalité pas tout à fait totales

L’idée d’une Terre totalement recouverte par une carapace de glace séparant les océans de l’atmosphère, durant le Cryogénien, reste débattue. Certains scientifiques pensent que c’est inévitable, car l’avancée des glaces jusqu’à de basses latitudes accroit fortement l’albédo de la Terre (la réflexion du rayonnement solaire), ce qui la refroidit et accentue l’emprise des glaces. Une rétroaction positive se met en place, jusqu’à l’englacement total. Cependant, les volcans continuent à émettre du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, où il s’accumule. Quand sa pression partielle atteint 0,3 bar (30 % de l’atmosphère contre 0,04 % actuellement !), l’effet de serre devient tellement fort que la carapace de glace finit par fondre. Le CO2 atmosphérique peut alors se dissoudre dans les océans, mais il l’acidifie d’une manière si brutale que cela peut être fatal à la vie. Il semble donc qu’un englacement total des océans ne soit pas possible. Grâce aux volcans et aux sources hydrothermales, il a dû exister des « fenêtres » dans la glace, permettant des échanges entre l’atmosphère et les océans. Grâce à eux, il n’y a pas eu d’acidification massive des océans à la fin de chaque glaciation. Guillaume Le Hir, dans sa thèse de doctorat encadrée par Yves Goddéris et Gilles Ramstein, a démontré que 1 000 km² de surface libre de glace ont été suffisants pour qu’une acidification catastrophique ne se produise pas, du CO2 atmosphérique pouvant lentement se dissoudre dans les océans durant chaque glaciation.

Griffiths et ses collègues n’ont pas cité cet article, mais il sert leur propos. Même au plus fort des glaciations sturtienne et marinoenne, il a existé des zones d’eau libres de glaces, qui ont sûrement aidé la vie marine à survivre. On pourrait aussi évoquer la découverte en Chine du Sud, par l’équipe de Bai Huaqing, de sédiments datés de 655 à 635 Ma, en pleine glaciation marinoenne, qui attestent de l’existence de lacs d’eau douce. L’une des strates témoigne de pluies intenses sous un climat chaud. Ces découvertes ne doivent pas faire rejeter l’hypothèse des glaciations globales, car leurs indices sont nombreux, mais elles montrent qu’elles ont été des phénomènes complexes tant du point de vue spatial que temporel.

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Elizabeth C. Turner, Possible poriferan body fossils in early Neoproterozoic microbial reefs, Nature 596, 28 July 2021.

Huw J. Griffiths, Rowan J. Whittle, Emily G. Mitchell, Animal survival strategies in Neoproterozoic ice worlds, Global Change Biology, 11 October 2022.

Guillaume Le Hir, Gilles Ramstein, Yannick Donnadieu, Yves Goddéris, Scenario for the evolution of atmospheric pCO2 during a snowball Earth, Geology 36, January 01, 2008.

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