Pourquoi la Terre a-t-elle son visage actuel ? Qu’est-ce qui explique les éruptions volcaniques et les tremblements de terre ? Pourquoi existe-t-il des montagnes ? Ces questions n’admettent aucune réponse évidente. Au XIXe siècle, les scientifiques pensaient que la Terre était une boule en cours de refroidissement et donc que sa surface se contractait, ce qui créait des rides comme sur la peau d’une vieille pomme. Dans certains livres, le terme de géosynclinal a subsisté. C’est une théorie présentée par le géologue américain James Hall en 1857, qui a été clarifiée par James Dana en 1895. Devenue obsolète aujourd’hui, elle était pourtant révolutionnaire à l’époque. L’idée est qu’il existait de longues fosses sous-marines dans laquelle des milliers de mètres de sédiments s’étaient accumulés. Le resserrement des fosses a provoqué le soulèvement de ces sédiments, qui sont devenus des montagnes. L’idée a d’abord été appliquée aux Appalaches, puis aux Alpes. Jean Aubouin s’efforçait encore en 1959 d’expliquer la structure des Alpes par cette théorie.
À partir de l’année 1911, Alfred Wegener a commencé à élaborer la théorie de la dérive des continents. Pour lui, il y a plus de 200 Ma (millions d’années), il existait un continent unique qu’il a appelé la Pangée. Il s’est disloqué sous l’effet de forces inconnues, les continents dérivant sur les océans en plissant leur croûte. Ainsi, la cordillère des Andes et les montagnes Rocheuses se seraient élevées à cause de la migration vers l’ouest des deux Amériques. Derrière eux, les continents auraient laissé des chapelets d’îles comme les Antilles. Cette théorie, connue en dehors de l’Allemagne à partir de 1924, était une hérésie pour l’époque, mais fut examinée avec soin. Des débats furent organisés dans des sociétés géologiques en France, en Angleterre et aux États-Unis. Les opposants l’emportèrent partout, y compris en Allemagne. Wegener trouva cependant des partisans, dont les géologues genevois Émile Argand et sud-africain Alexandre L. Du Toit. Ce dernier publia en 1927 un article sur les similitudes entre l’Afrique du Sud et l’Amérique du Sud qui enthousiasma Wegener.
Il partageait l’avis général que la Terre était entièrement recouverte par une couche de basalte apparaissant dans les fonds océaniques, appelée le sima. Ce terme a été construit vers 1918 à partir des noms du silicium et du magnésium, les deux éléments prédominants du basalte. Les continents sont plutôt granitiques. On pensait qu’ils « flottaient » sur le sima parce que le granite est moins dense que le basalte. L’abondance de l’aluminium a valu à la croûte continentale le nom de sial. Ainsi, pour Wegener, les continents étaient comme des icebergs flottant sur l’eau et susceptibles de dériver. Il pensait que le sima fondait à plus faible température que le sial, ce qui facilitait leur déplacement, mais ce n’était pas conforme aux expérimentations. Il était conscient de ne pas connaître la force qui animait ces mouvements.
La tectonique des plaques, élaborée dans les années 1960, diffère de la dérive des continents. La Terre est recouverte d’une couche de roches rigides, la lithosphère, littéralement la « sphère de pierre ». Elle est découpée en différentes plaques animées de très lents mouvements de rotation. Il ne s’agit pas de translation puisque la Terre est (à peu près) sphérique. Ces plaques peuvent être purement océaniques ou comprendre une partie continentale et une partie océanique. Elles sont posées sur l’asthénosphère, la « sphère faible », composée de roches chaudes et ductiles, qui se déplacent à des vitesses de quelques centimètres par an. Il est important de préciser que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, l’asthénosphère n’est pas composée de magma, c’est-à-dire de roches en fusion. Ses roches sont solides mais déformables. Leurs mouvements sont très lents, mais sur des échelles de temps de plusieurs millions d’années, l’asthénosphère se comporte comme un fluide en convection. Elle s’étend jusqu’à environ 660 km de profondeur et entoure la mésosphère, qui descend jusqu’à 2 900 km de profondeur. La mésosphère enveloppe elle-même le noyau métallique de la Terre.
On sait que ces couches de roches concentriques sont solides parce que deux types d’ondes sismiques peuvent se déplacer dedans : les ondes de compression P arrivent les premières et les ondes de cisaillement S les suivent. Or les ondes S ne se transmettent pas dans les liquides. Quand un séisme se produit quelque part, ces ondes partent dans toutes les directions et traversent la Terre de part en part avec des vitesses qui se mesurent en kilomètres par seconde. Leur analyse permet de donner une image de l’intérieur de la Terre.
La tectonique des plaques est née de l’exploration des océans, qui recouvrent à peu près les deux tiers de la surface de la Terre. Il est vain d’essayer de comprendre notre planète si l’on ignore ce que cachent leurs eaux. On sait maintenant que de grandes chaînes de montagnes s’étendent au milieu des océans : les dorsales médio-océaniques. Celle de l’Atlantique a été décrite en 1957 par Marie Tharp et Bruce Heezen, qui travaillaient alors au Lamont Doherty Geological Observatory de l’université Columbia à New York. Des campagnes furent alors lancées dans tous les océans pour chercher d’autres dorsales. On s’aperçut qu’elles s’étendaient sur presque 60 000 km de long et qu’elles étaient les lieux d’une activité sismique.
En 1962, Harry Hess, qui était professeur à l’université de Princeton et grand navigateur, publia un article où il supposait que les fonds océaniques prenaient naissance dans les dorsales, se déplaçaient et s’enfonçaient dans des fosses comme celles qui bordent le Pacifique, dont la plus célèbre est celle des Mariannes. Les continents suivaient le mouvement. L’année précédente, un collègue de Hess, Robert Dietz, avait inventé l’expression de sea-floor spreading : l’expansion des fonds océaniques. C’est la clé de voûte de la tectonique des plaques.
En 1963, le géophysicien Drummond Matthews et son étudiant Frederick Vine ont publié un article décisif pour cette nouvelle théorie. Ils formulaient l’hypothèse que les fonds océaniques avaient enregistré les inversions du champ magnétique terrestre. Les dorsales sont des lieux d’accrétion, c’est-à-dire de création de croûte océanique. Du magma monte vers la surface, au milieu de la dorsale. Le champ géomagnétique oriente des particules minérales qui lui sont sensibles et se comportent comme de petites boussoles. Quand il se solidifie, les particules restent figées. Leur présence crée un champ magnétique qui s’ajoute à celui de la Terre, or les pôles magnétiques nord et sud sont régulièrement inversés. Durant les dernières 165 millions d’années, il y a eu 296 inversions (échelle de Cox, élaborée en 1968). Des deux côtés de la dorsale, la croûte océanique s’éloigne en portant le souvenir de ces inversions.
Pour Vine et Matthews, la présence de ces « anomalies magnétiques » en forme de bandes parallèles prouve l’expansion des fonds océaniques.
Tout le monde ne fut pas tout de suite convaincu. Le débat subsistait entre « fixistes », qui pensaient que les continents étaient fixes, et « mobilistes », qui pensaient qu’ils bougeaient. Le géodynamicien français Xavier Le Pichon tenta de réfuter le mobilisme dans sa thèse de doctorat, présentée en 1966 à Strasbourg, mais il se rallia très vite à la tectonique des plaques. Il travaillait aussi, depuis 1959, au Lamont, qui l’avait envoyé explorer les océans. Dans un ouvrage intitulé Ma conversion à la tectonique des plaques, il explique que cette théorie a été élaborée entre 1955 et 1968. La découverte majeure a été celle des vallées axiales qui s’étendent au sommet des dorsales. Elles sont particulièrement visibles dans l’Atlantique. C’est précisément là que les deux plaques s’écartent et que les séismes se produisent. La tectonique des plaques a été élaborée dans trois laboratoires : Lamont et Princeton aux États-Unis et Cambridge en Angleterre.
Ainsi, les continents actuels étaient bel et bien réunis au sein de la Pangée il y a environ 250 millions d’années. L’Atlantique s’est ouvert durant le Jurassique et le Crétacé en séparant les deux Amériques de l’Europe et de l’Afrique. Ces continents s’emboîtent parfaitement, mais ce ne sont pas leurs côtes qu’il faut considérer. Les plateaux continentaux (ou plateformes continentales) doivent être pris en compte : les zones immergées des continents situées à leur marge. Ils ont généralement moins de 200 mètres de profondeur. Les îles Falklands font partie du continent sud-américain. Un bloc comprenant l’Antarctique oriental, l’Australie, l’Inde et Madagascar s’est détaché de l’Afrique durant le Jurassique, avant que l’Amérique du Sud ne se sépare de l’Afrique. Durant le Crétacé inférieur (de 154 à 100 Ma), l’Inde et Madagascar se sont à leur tour éloignés de l’Antarctique oriental. Ainsi, les océans qui s’étendent entre ces continents sont relativement récents.
La surface des continents n’a pas varié depuis la dislocation de la Pangée. Elle représente 30 % de la surface du Globe. La surface des océans ne varie donc pas non plus. Puisque de la croûte océanique est créée dans les dorsales, c’est qu’elle disparaît en d’autres endroits. Cela se produit dans les zones de subduction, qui sont l’une des manifestations majeures de la tectonique des plaques. Une plaque océanique (ou sa partie océanique si elle est mixte) s’enfonce sous une autre plaque, qui peut être océanique ou continentale. Ce phénomène produit à la fois du volcanisme et des séismes, et il fait s’élever des montagnes comme les Andes ou d’autres chaînes de montagnes moins élevées. Il est appelé la subduction depuis 1970, mais ce terme était utilisé dès 1951 dans un autre contexte, celui des Alpes, où des unités géologiques s’enfoncent sous d’autres.
Sa découverte a été effectuée avant l’avènement de la tectonique des plaques. Kiyoo Wadachi a remarqué en 1937 que les foyers des séismes au nord-ouest du Pacifique se répartissent selon un plan qui s’enfonce à 45° vers l’Asie. Il commence sous la fosse du Japon et descend jusqu’à une profondeur de 700 km. Une observation semblable a été effectuée par Hugo Benioff en 1949. Il étudiait la zone des Tonga-Kermadec au sud-ouest du Pacifique.
Les Alpes, comme l’Himalaya, sont différentes des Andes. Elles résultent de la collision de deux plaques continentales, en l’occurrence celles de l’Europe et du Grand Adria. Cette dernière forme le plancher de la mer Adriatique. De même, l’Himalaya a commencé à s’élever quand l’Inde a heurté la plaque eurasiatique. Cependant, la subduction est à l’origine de ces collisions et continue à faire « vivre » ces montagnes.
La tectonique des plaques, initialement appelée la « nouvelle tectonique globale », est devenue le paradigme de la géologie. Elle explique les reliefs de notre planète, de l’existence des montagnes jusqu’à celle des océans. La notion de plaque lithosphérique a été définie en 1965 par le géophysicien canadien J. Tuzo Wilson. Leurs limites étaient alors appelées des « ceintures mobiles ». Il s’agissait des chaînes de montagnes (des zones de subduction, dirait-on maintenant), des dorsales océaniques et des failles transformantes. Ces dernières sont des lieux où deux portions de lithosphère glissent horizontalement l’une contre l’autre. Elles barrent fréquemment les dorsales.
Les océans Atlantique et Arctique fournissent une bonne illustration de ce qu’est une limite de plaque. La dorsale de l’Atlantique Nord s’achève à proximité de l’archipel norvégien du Svalbard sur une faille transformante. En la suivant, on aboutit à une autre dorsale, celle de Gakkel, qui traverse l’océan Arctique jusqu’aux monts Verkhoyansk à l’est de la Sibérie. De la sorte, la plaque eurasiatique est délimitée au nord par deux dorsales, une faille transformante et une chaîne de montagnes. L’extrémité orientale de la Sibérie, à l’est des monts Verkhoyansk, appartient à la plaque de l’Amérique du Nord. Le détroit de Béring, qui sépare ce territoire de l’Alaska, est donc purement continental.
En 1967, W. Jason Morgan a supposé qu’il existait douze plaques lithosphériques. Un peu plus tard, Xavier Le Pichon a défini six plaques majeures, ce qui parachevait la nouvelle théorie. On ne devrait pas les appeler des plaques tectoniques. Ce mot, qui vient du grec tektonikos « propre au charpentier », a acquis une célébrité mondiale mais sa signification est restée peu connue. La tectonique est une discipline qui traite des déformations de la croûte terrestre, tant à l’échelle du Globe qu’à celle des pierres. Elles se produisent surtout, mais pas seulement, aux limites de plaques, donc dans les ceintures mobiles. Aujourd’hui, cette dernière expression ne s’applique plus qu’aux chaînes de montagnes.
Leave a Reply
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.