Depuis les années 1960, on sait que la surface de la Terre est composée d’une couche rigide de roches, la lithosphère, surmontant les roches ductiles de l’asthénosphère. La lithosphère est divisées en plaques souvent dites tectoniques. Les plus grandes sont au nombre de sept, auxquelles s’ajoutent quarante-six plaques plus petites. Leur partie supérieure constitue la croûte terrestre, qui est océanique ou continentale. La plus grande plaque, celle du Pacifique, est essentiellement océanique. Celle de l’Eurasie est en majeure partie continentale, mais elle contient également de la croûte océanique sur son pourtour. Sous la croûte, se trouvent des péridotites, roches constituant la partie supérieure du manteau terrestre. Elles sont reconnaissables à leur couleur vert olive, qu’elles doivent aux cristaux d’olivine, un minéral également appelé le péridot. Elles sont présentes à la fois à la base de la lithosphère et dans l’asthénosphère. Ce qui les distingue, c’est leur température : celles de la lithosphère sont à moins de 1 300 °C, si bien qu’elles sont rigides, et celles de l’asthénosphère sont à plus de 1 300 °C, si bien qu’elles sont ductiles. La limite n’est bien sûr pas nette. La transition, visible grâce aux ondes sismiques, se fait sur plusieurs kilomètres.
Les plaques lithosphériques bougent les unes par rapport aux autres. La croûte océanique est créée dans les dorsales médio-océaniques et s’épanche des deux côtés, formant de véritables tapis roulants. Après s’être refroidies et épaissies, les plaques océaniques s’enfoncent dans l’asthénosphère : c’est la subduction. Elles peuvent descendre jusqu’à la base du manteau supérieur, à 660 km de profondeur, ou pénétrer dans le manteau inférieur. Ce sont des manifestations majeures de la tectonique des plaques. Une autre est la collision de deux continents, à l’origine de chaînes de montagnes comme les Alpes et l’Himalaya, mais ces évènements font toujours suite à la fermeture d’un océan par subduction.
Tectonique des plaques et convection du manteau
C’est la convection du manteau qui fait bouger les plaques lithosphériques. Il n’est pas liquide, puisque les ondes sismiques S peuvent se propager dedans. Toutefois, sur de longues périodes – quelques centaines ou milliers d’années –, ces roches sont capables de se déformer de manière irréversible. Puisque l’unité de temps de la géologie est le million d’années, le manteau y apparaît comme un liquide. La convection est décrit par les mêmes équations que celle d’un fluide. Seuls les paramètres, comme la viscosité, varient. Celle des roches est extrêmement élevée. La viscosité dynamique des péridotites de l’asthénosphère vaut 1017 m²/s, alors que celle de l’eau à 20 °C est de 10 – 6 m²/s. Les roches de la lithosphère sont 1 000 à 10 000 fois plus visqueuses, c’est pourquoi elles paraissent rigides.
Le manteau peut ainsi être comparée à l’eau d’une casserole posée sur le feu. À la base de la casserole, l’eau devient plus chaude en certains endroits qu’en d’autres. Comme elle se dilate, sa densité diminue et elle monte sous l’effet de la poussée d’Archimède. À la surface, elle se refroidit en transférant sa chaleur à l’air, et comme sa densité augmente, elle redescend. Dans l’eau d’une casserole, la convection est un moyen de transfert de la chaleur. La conduction en est un autre, qui n’implique pas de déplacement de matière. Celle-ci s’effectue dans le métal de la casserole.
Cependant, cette comparaison est très imparfaite, parce que le manteau terrestre a plutôt un chauffage interne. Sa chaleur provient surtout de la désintégration radioactive d’éléments que ses roches comportent : du potassium 40, du thorium et de l’uranium. De plus, le manteau est intensément refroidi par le haut. La lithosphère est une couche limite thermique, dans laquelle la température augmente très vite avec la profondeur et le transfert chaleur se fait par conduction. Dans la partie convective du manteau, la température augmente également avec la profondeur, mais beaucoup moins vite que dans la lithosphère. La subduction des plaques océaniques correspond alors à une descente active de roches froides, leur densité étant plus élevée que celle de l’asthénosphère. Elle refroidit le manteau. Mais est-ce une manifestation de la convection du manteau ?
On pourrait imaginer l’existence de cellules de convection sous les plaques océaniques en subduction : des péridotites chaudes monteraient sous la dorsale, s’en éloigneraient des deux côtés en entraînant les plaques, puis redescendraient dans les profondeurs du manteau après s’être refroidies. De fait, l’arrivée de ces péridotites près de la surface, à une centaine de kilomètres de profondeur, les fait partiellement fondre et provoque du volcanisme sur la dorsale, qui est un important lieu d’évacuation de la chaleur interne de la Terre.
L’étude des dorsales a montré que les choses ne se passent pas ainsi. Les péridotites à l’origine de leur volcanisme sont des roches superficielles du manteau. Elles ne montent que pour combler le vide qui se crée entre les deux plaques océaniques divergentes. Par ailleurs, il y a tout lieu de croire que, dans les zones de subduction, les plaques s’enfoncent dans le manteau à cause de leur propre poids. Ce serait donc plutôt elles qui entraîneraient le manteau, lors de leur déplacement horizontal sous les océans puis de leur descente.
Il existe des ascensions de roches chaudes provenant des profondeurs du manteau, voire de la limite entre le noyau et le manteau : ce sont les panaches. Ils sont à l’origine d’îles volcaniques comme Hawaii et l’Islande, mais ils provoquent également parfois des phénomènes volcaniques de grande ampleur à l’origine, par exemple, des trapps de Sibérie et de celles du Deccan. On estime qu’ils traduisent un faible chauffage par le bas du manteau et qu’ils sont donc une manifestation de sa convection. Le problème de leur influence sur la tectonique des plaques se pose. Sont-ils capables de fracturer un continent en provoquant l’ouverture d’un océan ?
La lithosphère et l’asthénosphère sont inclus dans un même système convectif
Une équipe comprennent Nicolas Coltice et Maëlis Arnould, du Laboratoire de Géologie de l’ENS de Paris, Laurent Husson de l’Institut des Sciences de la Terre de Grenoble, ainsi que Claudio Faccenna, a répondu à ces questions en effectuant une nouvelle modélisation du manteau et de la croûte terrestres. L’asthénosphère et la lithosphère y sont traités de la même manière, puisque seule leur viscosité les distingue et qu’elle varie continûment de l’une à l’autre. Les frontières entre plaques lithosphériques, parfois difficile à localiser, ne sont également plus prises en compte, mais cela n’empêche pas la tectonique des plaques d’exister. Le système manteau-croûte est considéré comme un fluide obéissant aux équations de la convection thermique. L’une d’elles, l’équation de Navier-Stokes, décrit le comportement d’un fluide newtonien. Sa viscosité dépend de sa température et de sa pression, mais pas des forces qui sont exercées sur lui. L’approximation de Boussinescq, utilisée par les auteurs, néglige les effets dynamiques de la compressibilité du fluide.
Les continents sont considérés comme des radeaux flottants, ayant 200 km d’épaisseur à l’intérieur et 125 km sur les bords. Leur viscosité est 100 fois plus élevée que celle du manteau. La simulation commence avec un supercontinent ressemblant à la Pangée. Deux superpanaches de 500 km d’épaisseur sont disposés sur le noyau, diamétralement opposés. Il s’agit de zones où les ondes S sont ralenties, ce qui traduit probablement une chaleur et une densité anormalement élevées, à cause d’une composition chimique différente de celle du manteau ambiant. Sa viscosité a été considérée comme 10 fois supérieure à celle du manteau. Au cours du Phanérozoïque (depuis 541 Ma), l’une de ces structures a fait monter des panaches sous le Gondwana, au sud de la Pangée, qui ont provoqué d’intenses épisodes de volcanisme. La province magmatique centre-Atlantique il y a 201 Ma, les trapps de Karoo-Ferrar en Afrique du Sud et en Antarctique il y a 182 Ma, ou encore les trapps du Deccan il y 66 Ma et ceux d’Éthiopie il y a 31 Ma, ont tous été des manifestations ce superpanache. Pour que ce modèle reflète le manteau terrestre de la manière la plus fidèle possible, les auteurs ont également tenu compte de la limite entre le manteau supérieur et le manteau inférieur à 660 km de profondeur. Du premier au second, la viscosité augmente d’un facteur 30.
Les équations de la convection thermique permettent de calculer l’évolution de la Terre à partir de cet état initial. Ce sont des équations différentielles, dont les solutions ne sont pas des nombres mais des fonctions. Des calculs numériques effectués par des ordinateurs permettent d’obtenir des solutions approchées. Le manteau et la croûte ont été divisés en 50 millions de cellules de 23 km en moyenne. Elles étaient inférieures à 10 km dans les couches limites. Un supercalculateur a pu déterminer l’évolution de la Terre pendant 1,5 milliard d’années (période divisée en pas de 3 844 ans), en fonctionnant pendant neuf mois. Si les scientifiques ont pris une période aussi longue, c’était pour voir le fonctionnement du système convectif dans des conditions différentes de la Terre d’aujourd’hui. Les continents sont actuellement dispersés, suite à la dislocation de la Pangée, mais ils formeront un nouveau supercontinent dans peut-être 250 millions d’années.
Les scientifiques ont ainsi vu se dérouler tous les phénomènes de la tectonique des plaques, dont le rifting et l’ouverture d’océans, la subduction, l’apparition de fosses océaniques là où les plaques s’enfoncent dans le manteau, la création des bassins d’arrière-arc à proximité des zones de subduction (comme la mer du Japon, ouverte grâce à la subduction des plaques Pacifique et Philippine sous l’Eurasie), ainsi que le retrait de ces zones : la rapidité avec laquelle les plaques océaniques plongent dans le manteau oblige la zone de subduction à se rapprocher de la dorsale, si bien que l’océan rétrécit. La vitesse de ces plaques peut atteindre les 10 centimètres par an, conformément à ce qui est observé. La simulation a montré que la vitesse d’écoulement du manteau est moins élevée sous la lithosphère, ce qui confirme que c’est bien la plaque en subduction qui entraîne l’asthénosphère. Si un continent se trouve sur cette plaque, sa vitesse est alors élevée, comme c’est actuellement le cas de l’Australie. Sa plaque est en subduction sous l’Indonésie. La plupart des plaques océaniques stagnent sur le manteau inférieur, à 660 km de profondeur, avant de pouvoir s’y enfoncer.
Parmi les phénomènes tectoniques observés, figurent également l’assemblage et la dislocation des supercontinents. La simulation a commencé par la fragmentation du supercontinent initial. Un autre est apparu 710 millions d’années plus tard, puis il commencé à se disperser à 930 Ma. Un nouvel assemblage était en cours quand la simulation à été arrêtée à 1 500 Ma, parce que les continents ont rétréci. En effet, les collisions, qui font s’élever des chaînes de montagnes, et les subductions, causent une perte de roches continentales. Le volcanisme des zones de subduction en crée et compense cette perte, mais il n’est pas pris en compte dans cette modélisation. L’érosion est également ignorée, si bien que les montagnes ne peuvent perdre leur hauteur que par effondrement gravitationnel ou par des causes tectoniques. Leur présence provoque un épaississement de la lithosphère, qui s’enfonce dans l’asthénosphère. Les continents sont alors pourvus d’une « quille » dont on a pensé qu’elle pourrait ralentir leur dérive. La simulation a montré que, si le continent est fixé sur une plaque en subduction, il n’y a pas de freinage. Si ce n’est pas le cas, le continent est entraîné par l’écoulement de l’asthénosphère et se déplace à une faible vitesse, de l’ordre d’un centimètre par an. Sa quille peut exercer un freinage.
En moyenne, la lithosphère se déplace à une vitesse de 4 cm/an. Le flux de chaleur calculé est de 50 térawatts, ce qui rejoint la valeur déduite des observations. Les panaches sont des structures stables, capables de subsister pendant 100 millions d’années. Ils sont presque tous ancrés sur les bords ou les sommets des superpanaches, comme cela a été observé sous l’ancien Gondwana. À la fin de l’existence du supercontinent, avant 930 Ma, leur nombre s’est accru de moins de 20 à presque 30, avant de retomber à un total de 16 lorsque la fragmentation s’est terminée. Les superpanaches sont eux-mêmes stables sur une période de 300 Ma, mais subissent des transformations sur une période plus longue.
Les panaches ne provoquent pas la fragmentation des continents parce qu’ils ont une flottabilité trop faible. À la fin de leur montée, ils se répandent sous la lithosphère sans exercer de poussée sur elle, grâce à leur faible viscosité, mais ils l’affaiblissent. La déchirure d’un continent peut se faire comme l’ouverture d’une fermeture éclair : elle se propage à la surface, vers les zones faibles, à des vitesses de quelques centimètres par an. Ce phénomène est susceptible de s’arrêter. La déchirure peut aussi se faire de manière plus brutale, sur une distance supérieure à 1 000 km. Le rift devient une dorsale médio-océanique et l’océan ainsi ouvert s’étend rapidement.
Comme cette nouvelle modélisation reproduit correctement la tectonique des plaques, l’idée sur laquelle elle repose apparaît pertinente : effacer la distinction entre lithosphère et asthénosphère, même si ces termes sont toujours utilisés ici pour des raisons de commodité. Les plaques lithosphérique font partie intégrante d’un système convectif qui s’étend jusqu’à la base du manteau. Cela ouvre la voie à une meilleure compréhension de la géodynamique, mais aussi de la dynamique des autres planètes rocheuses.
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Nicolas Coltice et al., What drives tectonic plates? Science Advances, 30 October 2019.
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