Durant une période appelée le Cryogénien, la Terre a connu de grandes glaciations, dont on pense qu’elles ont été globales : les glaciers ont atteint de basses latitudes, non pas en montagne, mais au niveau de la mer. Et celle-ci était probablement recouverte par une épaisse banquise. Dans le monde anglo-saxon, ces évènements ont été qualifiés de Snowball Earth, ce qui se traduit par « Terre boule de neige ». Il aurait été plus exact de parler de boule de glace.
Deux glaciations ont été discernées : la glaciation sturtienne environ de 720 à 660 Ma (millions d’années) et la glaciation marinoenne, de 650 à 635 Ma. Elles auraient donc duré respectivement 60 et 15 millions d’années et auraient été séparées par un intervalle de 10 millions d’années. La première d’entre elles s’est ainsi étalée sur une période de temps presque égale à celle qui s’est écoulée depuis la fin du règne des dinosaures et la radiation des mammifères.
Les causes de ces glaciations, rares dans l’histoire de la Terre, restent encore discutées, mais certains scientifiques continuent à se demander si elles ont vraiment été globales et aussi sévères qu’on ne l’a pensé. D’après les modèles climatiques, ce devait être le cas, pour une raison simple. Une Terre en grande partie couverte de glace renvoie dans l’espace la majorité du rayonnement solaire qu’elle reçoit. Elle ne peut donc que se refroidir jusqu’à un état où elle est totalement gelée, avec des températures descendant sous les – 50 °C aux hautes latitudes. Si elle a pu être dégelée, c’est grâce à l’accumulation de dioxyde de carbone dans son atmosphère, provoquant un effet de serre extrêmement intense. Il était émis par les volcans et la « pompe à CO₂ » qu’est l’érosion des silicates ne fonctionnait pas.
En raclant leurs socles rocheux, les glaciers ont laissé les sédiments appelés des diamictites. Ce sont des débris de roches de tailles diverses dont la présence montre d’une manière non ambiguë qu’une glaciation s’est produite. D’autres sédiments appelés les lits rouges témoignent d’une altération des roches par de l’eau liquide. Ils doivent leur couleur à des oxydes de fer. Ce sont typiquement des grès (des sables cimentés), des siltites (des grès à grains très fins) et des argiles. En plusieurs endroits, comme dans l’archipel norvégien du Svalbard, des lits rouges sont pris en sandwich entre des diamictites, ce qui est assez troublant. Il ne s’agit pas ici de l’intervalle entre les glaciations sturtienne et marinoenne, mais d’épisodes chauds qui se sont produits pendant ces glaciations. Ils semblent peu compatibles avec la notion de Terre boule de neige.
Pour y voir plus clair, des scientifiques de l’Académie chinoise des sciences géologiques ont étudié des sédiments de la réserve naturelle de Shennongjia, dans la province du Hubei. Elle se trouve à l’est des monts Daba sur un ancien micro-continent appelé le bloc du Yangtze. Durant le Tonien (de 1000 à 720 Ma), la période précédent le Cryogénien, il est entré en collision avec le bloc Cathaysia pour former le craton de Chine du Sud, qui a fait partie du supercontinent Rodinia. Celui-ci a commencé à se disloquer pendant le Cryogénien. Le volcanisme qui s’est alors produit est l’une des causes probables de la glaciation sturtienne. Durant le Trias (de 252 à 201 Ma), le craton de Chine du Sud s’est arrimé au craton de Chine du Nord. La ceinture orogénique de Qinling s’étend entre les deux cratons, à proximité de la réserve de Shennongjia. Les monts Qinling, en particulier, sont les plus élevés de Chine orientale avec une altitude atteignant 3 767 mètres. Le pic Shennong, dans la réserve naturelle, culmine à 3 106 mètres.
Au sud-est de la réserve de Shennongjia, se trouve le massif de Huangling, qui correspond à un anticlinal : la croûte continentale y a été bombée. Le socle cristallin du bloc du Yangtze y affleure. Il remonte à l’Archéen et au Paléoprotérozoïque (de 4 à 1,6 Ga). Il est possible que la région de Shennongjia ait été un micro-continent indépendant, appelé un terrane, durant le Mésoprotérozoïque (de 1,6 à 1 Ga). Des sédiments carbonatés s’y sont déposés. Après une période d’érosion, la sédimentation a repris durant le Néoprotérozoïque (de 1000 à 541 Ma), une ère comprenant le Tonien, le Cryogénien et l’Édiacarien (de 635 à 541 Ma). Les sédiments du Cryogénien sont des formations ferrifères rubanées (une alternance d’oxydes de fer et de jaspe), des grès à galets et de la siltite, des diamictites massives de la glaciation sturtienne intercalées avec du grès ou de la siltite, des argiles et de la siltite interglaciaires, et enfin les roches de la formation Nantuo. Ce sont des diamictites massives et stratifiées et des conglomérats (des cailloux cimentés) avec des lits de grès et de siltite. Cette formation a été datée de 655 à 635 Ma, si bien qu’elle est contemporaine de la glaciation marinoenne. Déposée au début de l’Édiacarien, la formation Doushantuo est aussi présente dans la province du Guizhou et comprend des fossiles d’organismes multicellulaires qui sont longtemps restés énigmatiques. Loin d’être fatales à la vie, les glaciations du Cryogénien ont provoqué un tournant dans son développement.
Dans la formation Nantuo moyenne, six lithofaciès (types de sédiments) ont été distingués :
- une diamictite verte massive,
- du wacke laminé vert
- des argiles et de la siltite vertes laminées
- du wacke laminé rouge
- une diamictite grossièrement stratifiée rouge
- une siltite laminée rouge.
Le wacke est un grès comprenant des grains de sable et de 15 à 75 % de fraction argileuse. Dans le cas présent, les grains sont des feldspaths et de petits fragments de roches comportant plusieurs minéraux. Les trois derniers types de sédiments sont des lits rouges. Il existe des moyens de déterminer dans quelles conditions ils se sont formés. On peut par exemple savoir que les sables et les silts se sont déposés puis ont été cimentés en grès et en siltite dans une eau douce.
La conclusion des auteurs est que les lithofaciès 2 et 3 sont des dépôts glaciolacustres datant d’un épisode de retrait des glaciers. La diamictite grossièrement stratifiée rouge 5 a des points communs avec la diamictite verte massive, si bien qu’elle s’est probablement déposée à proximité des glaciers. Sa structure grossièrement stratifiée pourrait résulter de l’action de courants sur les fragments de roche. C’est également un dépôt glaciolacustre. Le wacke laminé rouge 4 et la siltite laminée rouge 6 représentent des dépôts de sédiments dans une atmosphère oxygénée et un climat chaud, avec une altération intense des roches sous l’effet des précipitations. À cela, on peut ajouter que des isoprénoïdes ont été découverts dans la formation Nantuo. Comme ce sont des pigments photosynthétiques, ils montrent l’existence de zones éclairées par le soleil.
Les auteurs ne nient pas que durant la glaciation marinoenne, la Terre ait parfois été entièrement recouverte de glace. Pour eux, les sédiments de la formation Nantuo, et d’autres sédiments situés ailleurs dans le monde, témoignent de trois phases. La première est une glaciation totale. Durant la seconde, les basses latitudes étaient libres de glaces, dont une grande partie de la Rodinia, située à cheval sur l’équateur. La Chine du Sud se trouvait à sa périphérie occidentale, à environ 40 ° de latitude Nord, et le front des glaciers passait sur sa partie nord. Pendant la troisième phase, la glaciation était de nouveau totale.
Cette découverte affaiblit la notion de Terre boule de neige. La glaciation marinoenne n’a pas vraiment duré 15 millions d’années, puisqu’elle a connu au moins une « pause », et cela remet en cause son mécanisme. Apparemment, la Terre a pu en partie sortir d’une glaciation complète sans accumulation extrême de dioxyde de carbone dans son atmosphère. On pourrait également s’interroger sur la glaciation sturtienne. Ce serait une erreur de croire qu’elle a été parfaitement cernée. L’étude et surtout la datation d’épisodes glaciaires est difficile. Les recherches ultérieures seront donc très instructives.
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Bai Huaqing et al., Marinoan-aged red beds at Shennongjia, South China: Evidence against global-scale glaciation during the Cryogenian, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, Volume 559, 1 December 2020.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0031018220304120
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