Sous nos pieds, s’étendent une trentaine de kilomètres d’épaisseur de croûte continentale et environ 2900 kilomètres d’épaisseur de manteau. Dans sa partie supérieure, il est composé de roches appelées des péridotites, auxquelles les olivines (ou péridots) donnent une couleur vert olive. Ces minéraux se transforment à 410 et à 520 km de profondeur sous l’effet de la pression, puis ils se dissocient à 660 km de profondeur, où la température est de 1 600 °C. Le manteau supérieur s’étend de là jusqu’au noyau terrestre. Il n’est guère possible d’explorer autrement que par l’étude des ondes sismiques qui la traversent. Les géophysiciens ont pu obtenir une représentation en trois dimensions du manteau grâce à une tectonique d’analyse qui s’appelle la tomographie sismique.
Elle détermine les variations de vitesse des ondes dans le manteau. Elles peuvent être accélérées ou ralenties à cause de variations de température ou de composition des roches. Par exemple, une hausse de la température et un enrichissement en éléments volatils (tels que l’eau) ou en métaux provoquent un ralentissement. Les ondes S (de cisaillement) se propagent à environ 6 km/s au sommet du manteau inférieur et à environ 7 km/s à sa base. Les ondes P sont plus rapides. Il est important de noter que les ondes S ne se propagent pas dans les liquides, ce qui montre que le manteau est solide. Contrairement à une croyance assez répandue, il n’est pas magmatique.
Deux structures énigmatiques géantes à la base du manteau
Dans le milieu des années 1990, dès que la résolution de la tomographie sismique est devenue suffisante, il est apparu deux immenses structures à la base du manteau inférieur. Elles sont posées sur le noyau externe, qui est constitué en majeure partie de fer liquide, beaucoup plus dense que les roches du manteau. On les appelle les provinces de basse vitesse des ondes S, large low-shear velocity province LLSVP en anglais. Quelques géologues, comme Henrik Svensen et Trond Torsvik, leur ont donné des noms, mais ils restent peu utilisés : Tuzo et Jason. Ces deux provinces sont respectivement situées sous la plaque africaine, qui contient une partie de l’Atlantique Sud, et sous l’océan Pacifique.
Leur frontières latérales ont définies comme les lignes où la vitesse des ondes S est réduite de 0,9 %. À l’intérieur de ces frontières, la réduction dépasse les 2 %, ce qui est indiqué en rouge sur cette carte. Il est à présent établi que ces deux provinces sont liées à des flux ascendants de roches ou de chaleur qui traversent le manteau et atteignent par endroits la surface de la Terre, où ils causent du volcanisme. Ce sont des mouvements lents, qui se mesurent en centimètres par an, mais si l’on accélère le cours du temps, on a l’impression que le manteau se comporte comme un fluide. On peut définir sa viscosité, qui est un nombre extrêmement élevé.
La Terre a connu des périodes de volcanisme très abondant, à l’origine d’empilements de couches de basaltes appelés des trapps quand ils sont continentaux et des plateaux quand ils sont océaniques. Les trapps du Deccan recouvrent une partie de l’Inde et datent de la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années. La province magmatique centre Atlantique, CAMP en anglais, a une surface totale de sept millions de kilomètres carrés. Elle est datée de la fin du Trias, il y a 201 millions d’années, et a vraisemblablement provoqué l’extinction de masse de cette époque. Elle a annoncé l’ouverture de l’océan Atlantique. On peut également mentionner la province magmatique de Karoo-Ferrar en Afrique du Sud et en Antarctique, datée du Jurassique inférieur. La crise biologique du Toarcien (de 183 à 174 Ma), qui a affecté la faune océanique, lui est peut-être liée.
Si l’on remet l’Inde, l’Afrique et l’Antarctique oriental à la position où ils étaient quand ces éruptions se sont produites, on trouve qu’elles étaient localisées au-dessus de la marge de Tuzo. Ainsi, cette province de basse vitesse des ondes S, bien qu’enfouie dans les profondeurs du manteau, a provoqué des évènements majeurs à la surface de la Terre. On la désigne aussi comme un superpanache, un panache étant une ascension de roches mantelliques chaudes. Le panache à l’origine des trapps du Deccan est toujours actif, mais moins qu’à la fin du Crétacé : c’est lui qui alimente le piton de la Fournaise sur l’île de La Réunion.
Par ailleurs, Tuzo apparaît comme stable depuis des centaines de millions d’années. L’Afrique le surmontait déjà durant le Trias, mais à cette époque, ce continent faisait partie du Gondwana avec l’Amérique du Sud, l’Inde, l’Antarctique oriental et l’Australie. Tuzo ne s’est pas déplacé : ce sont les continents qui ont changé de position. Pendant le Cambrien, seuls l’Antarctique oriental et l’Australie se trouvaient au-dessus de Tuzo. Il y a 510 millions d’années, des éruptions volcaniques ont créé les trapps de Kalkarindji en Australie occidentale. Assez peu connus, ils affleurent sur une surface de 55 000 km², mais initialement, ils ont pu recouvrir plus de deux millions de kilomètres carrés.
Le grand plateau océanique d’Ontong Java est né il y a 122 millions d’années, durant le Crétacé supérieur, au-dessus d’une marge de Jason. En raison du mouvement rapide de la plaque Pacifique, dont l’âge ne dépasse pas les 180 millions d’années, il a été décalé vers l’ouest. Les points chauds des Galápagos, de l’île de Pâques et de Hawaii correspondent également à une marge de Jason. D’autres points chauds moins importants surmontent l’intérieur de cette province.
Des géologues pensent que les provinces de basse vitesse des ondes S sont restées stationnaires depuis des milliards d’années et qu’elles n’ont pas été influencées par la tectonique des plaques. D’autres estiment qu’elles sont dynamiques et qu’elles sont liées au cycle de l’assemblage et de la dislocation des supercontinents. Il en a existé deux durant le dernier milliard d’années : la Rodinia puis la Pangée (qui comprenait le Gondwana au sud). La tectonique des plaques n’est pas seulement un phénomène de surface de la Terre, car lors de leur subduction, les plaques océaniques sont capables de s’enfoncer jusqu’à la base du manteau inférieur, par le seul effet de la pesanteur : elles deviennent plus lourdes que les roches du manteau. Ce faisant, elles influent sur les mouvements de convection du manteau tout entier. C’est particulièrement le cas des plaques océaniques qui entourent les supercontinents et qui s’enfoncent dessous.
Signature d’une ancienne croûte continentale supérieure dans le domaine africain du manteau
Puisque les superpanaches provoquent des mouvements ascendants dans le manteau, il devrait être possible d’obtenir des indices sur leur nature en examinant les laves des points chauds. C’est la démarche présentée dans un article de la revue Nature Geoscience, rédigée sous la direction de Luc-Serge Doucet de l’Université Curtin en Australie. Les basaltes des îles et des plateaux océaniques, respectivement appelés OIB et OPB, sont produits par la fusion partielle de péridotites considérées comme primitives, au contraire des basaltes des dorsales océaniques. Ces derniers proviennent de péridotites appauvries en certains éléments car elles ont subi des fusions partielles antérieures. Bien que provenant des péridotites « primitives », les OIB et les OPB ont des compositions variables, ce qui est expliqué par la présence de vieilles plaques que la subduction a enfoncées depuis longtemps dans le manteau.
L’équipe de L.S. Doucet a retenu environ 3 800 échantillons d’OIP et d’OPB dont elle était sûre qu’ils caractérisent le manteau le plus profond. Pour Jason, ils ont été récoltés dans les quatre lieux du Pacifique précédemment cités. Un manteau « africain » a été défini : il est constitué de tout ce qui n’est pas situé sous le Pacifique. Les basaltes choisis proviennent de Tristan Da Cunha au sud de l’Atlantique, de La Réunion, du plateau de Kerguelen et de l’Islande. La composition isotopique de trois éléments-traces, le plomb, le néodyme et le strontium, a été mesurée. C’est une méthode couramment utilisée en géochimie pour déterminer les différentes types de péridotites : quoique mesurée dans du basalte, cette composition reflète celle de la péridotite source. Les auteurs ont trouvé que les basaltes du Pacifique proviennent du manteau primitif tandis que les OIB du domaine africain témoignent d’une contamination du manteau profond par de la croûte continentale supérieure dont l’âge va jusqu’à 700 millions d’années.
La période considérée est largement antérieure à l’existence de la Pangée. L’avant-dernier supercontinent, la Rodinia, commençait à se disloquer. Il comprenait quasiment toutes les terres émergées, dont plusieurs cratons qui constitueraient plus tard l’Afrique : les cratons du Kalahari, de l’Afrique de l’Ouest et celui de Congo-São Francisco, maintenant brisé en deux morceaux situés en Afrique et en Amérique du Sud. La Rodinia était entourée par l’océan Mirovia. Il s’est réduit par subduction tandis que s’ouvrait l’océan paléo-Pacifique, entre le bloc Australie-Antarctique oriental et la future Amérique du Nord. Le Gondwana a commencé à s’assembler il y a environ 600 millions d’années, peu après la dislocation de la Rodinia, entraînant une orogenèse majeure dite panafricaine. Le plancher de l’océan Mirovia s’est enfoncé dessous, emportant avec lui, dans les profondeurs du manteau, des sédiments d’origine continentale.
De la sorte, le domaine africain a été contaminé par du matériel crustal alors que le domaine pacifique en est resté exempt. La découverte de L.S. Doucet et de ses collègues montre que le manteau, même profond, et donc en particulier les provinces de basse vitesse des ondes S, sont géodynamiquement et chimiquement couplés avec le cycle des supercontinents et des superocéans.
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Luc S. Doucet et al., Distinct formation history for deep-mantle domains reflected in geochemical differences, Nature Geoscience 13, 29 June 2020.
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