Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a une époque où l’océan Pacifique n’existait pas. Il a commencé à s’ouvrir quand l’ancien supercontinent Rodinia s’est disloqué. Il a alors séparé deux masses continentales qui étaient d’une part l’Australie et l’Antarctique oriental, d’autre part la Laurentia. Celle-ci comprenait l’Amérique du Nord et le Groenland. Un fossé appelé un rift, accompagné de volcanisme, s’est ouvert entre ces deux masses continentales. Il a été envahi par la mer, qui y a déposé des sédiments. Son plancher a ensuite acquis une nature océanique, le rift se transformant en une dorsale.
Généralement, on parle plutôt de l’océan Panthalassa. Il entourait la Pangée, le supercontinent qui a succédé à la Rodinia et qui est le dernier en date. Mais en fait, la Panthalassa comprenait l’océan Pacifique, ainsi que la Téthys, un gigantesque golfe s’enfonçant dans la Pangée. D’autres auteurs utilisent l’expression de « proto-Pacifique ». Quoi qu’il en soit, il est parfaitement justifié d’appeler « Pacifique » l’océan qui s’est ouvert entre l’Australie-Antarctique et la future Amérique du Nord.
Il existe des traces de cet événement des deux côtés du Pacifique, bien que des orogenèses ultérieures comme la surrection des Montagnes Rocheuses les aient brouillées. Ces traces peuvent être reconnues dans le supergroupe de Windermere en Amérique du Nord et dans le complexe d’Adélaïde au centre de l’Australie du Sud. Ce dernier s’étend sur un millier de kilomètres de long de plusieurs centaines de kilomètres de large. Il comprend essentiellement des roches sédimentaires (calcaire, argiles et grès) atteignant 24 kilomètres d’épaisseur, datées de 870 Ma (millions d’années) à la fin du Cambrien, il y a environ 500 Ma. Elles se sont déposées dans une dépression résultant de l’extension de la lithosphère.
Cependant, des grandes incertitudes demeurent. L’Australie-Antarctique et la Laurentia étaient-elle vraiment contiguës ? En 2008, des géologues ont effectué une synthèse des travaux sur la Rodinia, sous la direction de Li Zhengxiang, et ont conclu que le bloc de Chine du Sud était intercalé entre ces deux anciens continents. Ce n’est pas l’avis de Grant Young, qui a reconnu en 1992 une similitude entre les roches sédimentaires du sud-est de l’Australie et du nord-ouest du Canada, durant le Néoprotérozoïque (de 1000 à 541 Ma).
À l’aube d’une glaciation globale de la Terre
Une équipe de scientifiques dirigée par le géologue australien Jacob A. Mulder a cherché les traces de l’ouverture du Pacifique en Tasmanie et a donné son avis sur cette question. Cette île, située au sud de l’Australie, est constituée de deux terranes (deux microcontinents) qui ont été assemblés durant le Dévonien (de 419 à 359 Ma). Le terrane occidental, Western Tasmanian Terrane WTT en anglais, comprend des sédiments et des roches magmatiques du Mésoprotérozoïque (de 1600 à 1000 Ma) et du Néoprotérozoïque. C’est l’étude de ses roches volcaniques et sédimentaires qui renseigne les géologues sur la naissance du Pacifique. Le terrane occidental est composé de sédiments et de granitoïdes du Paléozoïque (de 541 à 252 Ma). Les premiers ont la particularité d’être des turbidites : ils résultent de coulées turbulentes en milieu marin profond.
Ce sont des émissions de magma qui ont annoncé la dislocation de la Rodinia. Sur la Laurentia, le magmatisme tholéiitique (basaltique) de Gunbarrel, noté GB sur la première carte, daté à 780-775 Ma, est l’un de ces signes précurseurs. Des laves ont été émises et du magma s’est introduit en profondeur, dans des sills et des dykes (des filons). En Tasmanie, du magmatisme tholéiitique a été reconnu vers 780 Ma, dans la formation sédimentaire de Bowry BF, à l’ouest de l’île principale. Sur King Island, une île située au nord-ouest de la Tasmanie, des granites datés à 777-740 Ma affleurent parmi d’autres roches beaucoup plus récentes. Ils ont été notés KI sur la première carte. Du sable produit par l’érosion de roches remontant au Mésoprotérozoïque s’est accumulé dans un dépression liée au rift. Il a constitué la formation de Bowry. À la fin du rifting, quand la dépression se comblait, c’était les granites de King Island qui étaient érodés et leurs débris venaient s’adjoindre à la formation de Bowry. Par la suite, les roches ont été métamorphisées.
Lorsque la Laurentia a commencé à s’éloigner de l’Australie-Antarctique, le terrane occidental de la Tasmanie était probablement rattaché à ces deux continents, mais on ne sait pas auquel. Deux positions notées (A) et (B) ont été indiquées sur la deuxième carte, et même une troisième en faisant glisser le terrane de long de la Laurentia. Le bloc de Chine du Sud n’a pas été placé entre l’Australie-Antarctique et la Laurentia : Jacob Mulder et ses collaborateurs pensent que les deux continents se touchaient. Les roches CD sont les dolérites de Cooee, datées à 733 Ma. Une dolérite est un magma basaltique qui s’est solidifié en filons. Elle est intrusive dans la formation d’Oonah, postérieure à celle de Bowry, comportant des turbidites et d’autres sédiments, dont des grains de quartz provenant de King Island. Cette accumulation de sédiments est caractéristique d’un premier épisode de rift.
Des sédiments se sont déposés ailleurs sur le terrane occidental, dont de la dolomite, un carbonate de calcium et de magnésium comportant des microfossiles en forme de vase. La vie, encore unicellulaire, se développait timidement à cette époque. En Amérique du Nord, le groupe de Chuar, visible dans le Grand Canyon du Colorado, composé essentiellement de schistes, comprend des fossiles en forme de disques visibles à l’œil nu qui ont été appelés Chuarda circularis. Ils sont datés de 770 à 740 Ma. Des tuffs notés CH et datés à 742 Ma ont été indiqués sur la deuxième carte. Ce sont des dépôts de cendres volcaniques.
Ces évènements se sont produits à la fin d’une subdivision du Néoprotérozoïque appelée le Tonien (de 1000 à 720 Ma). La subdivision suivante, le Cryogénien (de 720 à 635 Ma), est caractérisée par deux glaciations globales de la Terre. On les appelle ordinairement les épisodes « boule de neige ». Elles sont reconnaissables par des débris rocheux, les diamictites, que les glaciers ont arrachés lors de leur avancée. L’érosion existait toujours durant le Cryogénien mais le manque d’eau liquide lui donnait un aspect très particulier.
De la glace et de la lave
La formation de Crimson Creek comprend une couche de roches rouges à teneur élevée en fer. À sa base, se trouvent des diamictites et des conglomérats. Ces derniers sont des galets, qui sont des pierres arrondies par des chocs dans des cours d’eau. Les diamictites sont en revanche des fragments de roches qui sont restés anguleux. Toutes ces pierres, arrondies ou non, sont composées de fragments de basalte, de roches volcaniques plus riches en silice, de granites et de schistes, ainsi que de sédiments provenant d’une formation du premier épisode, celle de Success Creek, le tout inclus dans une matrice à hématite (un oxyde de fer). Les diamictites et conglomérats sont datés de la première glaciation globale : le Sturtien. Ils sont surmontés de sédiments parmi lesquels figurent des argiles ferrugineuses et du jaspe à hématite.
Cette abondance de fer dans les sédiments est tout à fait remarquable. Elle évoque les formations ferrifères rubanées de la fin de l’Archéen et du début du Protérozoïque et elles se sont probablement formées dans les mêmes circonstances : l’absence d’oxygène dans les océans a permis à des ions ferreux de s’y accumuler et son retour, à la fin de la glaciation sturtienne, a entraîné l’oxydation et le dépôt de ce fer. Cet épisode de l’histoire du Pacifique, recouvert d’une banquise de plusieurs centaines de mètre d’épaisseur, anoxique et riche en fer, mérite d’être noté.
Les roches volcanoclastiques (fragments de roches volcaniques) de la formation de Crimson Creek, situés au-dessus des roches rouges, ont été datés à 670-640 Ma. Leur présence témoignage, d’après Jacob Mulder, d’un deuxième épisode de rift. Le Pacifique continuait à s’ouvrir durant le Cryogénien, avec du volcanisme basaltique. En Tasmanie, le faisceau de dykes de Tayatea, noté TY sur la troisième carte, date probablement du Cryogénien. Ce sont de filons de dolérite de moins de 50 mètres de large, intrusifs dans des strates mésoprotérozoïques de la région de Smithton, à la pointe nord-ouest de l’île principale. La Tasmanie était probablement toujours rattachée à un continent, que ce soit l’Australie-Antarctique ou la Laurentia. Sur la troisième carte, BG et SK sont respectivement les formations de Beardmore et de Skelton en Antarctique, datées à 663 et 650 Ma et comprenant des sédiments métamorphisés. Elles affleurent dans la chaîne Transantarctique. WF est la formation Wilyerpa burg en Australie, datée à 663 Ma. Le volcanisme repéré sur la Laurentia est un peu plus ancien.
Un troisième épisode de rift est contemporain d’une autre glaciation plus récente, celle de Gaskiers, il y a environ 580 Ma. Elle ne semble pas avoir été globale. Les éruptions volcaniques sont largement attestées en Tasmanie. Sur King Island, le sous-groupe de Skipworth SG (dans le groupe de Grassy, au sud-est de l’île) comprend du magma intrusif, des coulées de lave et des roches volcanoclastiques. Ce sont surtout des basaltes, mais aussi des andésites et des picrites. Sur l’île principale, le groupe de Togari comprend à la fois des diamictites et des basaltes (Spinks Creek SC). On peut dire que la glace et le feu se côtoyaient. La Tasmanie s’est alors détachée du continent. La subduction du Pacifique sous l’Australie-Antarctique engendre une orogenèse qualifiée de Ross en Antarctique et de Délamérienne en Australie. Elle n’empêche pas le Pacifique de continuer à s’ouvrir. Ce troisième épisode de rift se prolonge jusqu’au début du Cambrien.
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Jabob A. Mulder et al., Neoproterozoic opening of the Pacific Ocean recorded by multi-stage rifting in Tasmania, Australia, Earth-Science Reviews 201, February 2020.
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0012825219306130?via%3Dihub
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