Imaginez que vous ayez un os devant les incisives capable de bouger. Certains dinosaures en étaient dotés. C’étaient des Ornithuromorphes, comprenant les Ornithura, lesquels regroupaient tous les oiseaux et ancêtres proches, dont les oiseaux primitifs Ichthyornis et Hesperornis du Crétacé supérieur. Ils ne comprenaient pas le célèbre Archaeopteryx du Jurassique supérieur et ils ne doivent pas être confondus avec les Ornithisciens, l’un des deux grands groupes de dinosaures. Les oiseaux descendent des Saurischiens et non des Ornithisciens.
L’os prédentaire est l’un des éléments du squelette les plus énigmatiques de l’évolution aviaire. Situé à la pointe de la mâchoire inférieure, cet os est absent chez les oiseaux plus primitifs et chez les oiseaux vivants ; on pense qu’il a été perdu pendant l’évolution. Depuis plus de trente ans, l’origine et la fonction du prédentaire aviaire sont restées mystérieuses.
Maintenant, toutefois, Alida Bailleul, Li Zhiheng, Jingmai O’Connor et Zhou Zhonghe de l’Institut de paléontologie et de paléoanthropologie des vertébrés (IVPP) de l’Académie chinoise des sciences ont considérablement progressé dans la résolution de ce vieux mystère. Leurs conclusions ont été publiées dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) du 18 novembre.
En utilisant une batterie de méthodes analytiques, l’équipe, dirigée par le Dr Bailleul présente de fortes preuves que le prédentaire aviaire était recouvert d’un bec kératinique, un fourreau corné recouvrant les os du rostre de tous les oiseaux vivants, tous édentés et pourvus d’un bec. Il fournit également la preuve que le prédentaire était proprioceptif, c’est-à-dire qu’il était capable de détecter des stimuli mécaniques externes, et était mobile – représentant ainsi une forme maintenant éteinte de kinésie crânienne.
La kinésie crânienne se produit lorsque les articulations peuvent se déplacer dans le crâne – principalement entre la mâchoire supérieure et le neurocrâne. Cette caractéristique est répandue chez les oiseaux vivants ; cependant, on pense qu’elle est généralement absente chez les oiseaux du Mésozoïque.
Sur la base de son examen des tissus fossilisés des éléments prédentaires et autres de la mâchoire de Yanornis martini du biote de Jehol [au nord-est de la Chine], le Dr Bailleul a identifié un type spécifique de cartilage à l’intérieur de l’articulation entre le prédentaire et le dentaire qui suggère fortement un mouvement entre ces éléments.
L’équipe a remarqué que le prédentaire ne se trouve que dans les ornithuromorphes qui ont des dents. Cependant, la pointe du prémaxillaire – l’os du bec supérieur qui aurait obstrué le prédentaire – est dépourvue de dents. Cela suggère que la pointe de la mâchoire supérieure, comme celle du prédentaire, était également recouverte d’un bec kératinique.
Le minuscule bec à l’extrêmité du crâne, associé à l’os prédentaire sensible et mobile et aux dents qui étaient probablement aussi proprioceptives, représente une adaptation alimentaire unique qui permet une plus grande dextérité lors de la manipulation des aliments. Bien que bizarre et maintenant éteint, cet appareil d’alimentation unique a persisté dans le clade des ornithuromorphes pendant au moins 58 millions d’années, du Crétacé inférieur au Crétacé supérieur.
En utilisant des informations provenant de tissus fossilisés et des données préexistantes sur l’embryologie d’oiseaux vivants, l’équipe a également formulé une hypothèse sur l’origine de cet os, suggérant qu’il s’agit d’un sésamoïde, similaire à la rotule humaine. L’identification en tant que sésamoïde signifie que cet os est une innovation squelettique nouvelle, propre à une lignée d’ornithuromorphes, et qu’il ne provient pas d’un os de crâne préexistant.
Bien que des recherches supplémentaires sur les oiseaux fossiles (ainsi que sur les oiseaux existants) soient nécessaires pour confirmer certaines de ces hypothèses, le prédentaire est un os si petit qu’il est rarement préservé, ce qui rend très difficile – voire impossible – la recherche de spécimens pouvant faire la lumière sur les pièces restantes de ce mystère.
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Traduction d’un communiqué de presse de l’Académie des sciences de Chine.
Alida M. Bailleul et al., Origin of the avian predentary and evidence of a unique form of cranial kinesis in Cretaceous ornithuromorphs, PNAS, November 18, 2019.
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