Retracer l’histoire de la Terre en examinant des roches, c’est le genre de performance que les géochimistes arrivent à faire. En l’occurrence, il s’agit de la tectonique des plaques, qui explique une grande partie des reliefs existant sur notre planète, ainsi que des séismes et du volcanisme. La partie supérieure, rigide et cassante de la Terre, s’appelle la lithosphère, mot signifiant « sphère de pierre ». Elle s’étend en moyenne jusqu’à une centaine de kilomètres de profondeur et la température à sa base est de 1 300 °C. Les roches deviennent ductiles, si bien que la lithosphère peut « glisser » sur la partie plus profonde du manteau appelée l’asthénosphère. Cette coque rigide est brisée en plusieurs plaques. On en compte aujourd’hui une quinzaine, mais il y en a d’autres de petite taille. Leurs limites sont parfois difficile à définir.
Une plaque océanique peut se plier et s’enfoncer dans l’asthénosphère, sous une autre plaque, quand elle refroidit et devient plus dense qu’elle. Il se produit alors une subduction. Emportée par son propre poids, elle est capable de descendre jusqu’au noyau, à travers les 2 900 km d’épaisseur du manteau. Le mouvement est très lent car celui-ci est solide. Le « naufrage » de la partie plongeante entraîne la partie restée en surface, qui est un plancher océanique. La pesanteur est ainsi l’un des moteurs de la tectonique des plaques.
Depuis quand existe-t-elle ? C’est l’une des grandes questions de l’histoire de la Terre. Pour y répondre, une équipe conduite par Alexander Sobolev de l’Institut de Science de la Terre de Grenoble a étudié des komatiites. Ces roches sont nées de la solidification de magmas très chauds, dont la température atteignait les 1 600 °C. Par comparaison, les magmas actuels sont émis par les volcans à des températures ne dépassant pas les 1 200 °C. Les komatiites contiennent principalement des cristaux d’olivine, un silicate de magnésium et de fer de couleur vert olive très présent dans le manteau supérieur. Dedans, on trouve des inclusions vitreuses. Ce sont des poches microscopiques de liquide qui ont refroidi trop rapidement pour acquérir une structure cristalline. Dans un verre, les atomes restent désordonnés comme dans un liquide. Leur analyse fournit une bonne idée de ce qu’était le magma.
En 2016, les auteurs de l’étude ont examiné des komatiites âgées de 2,7 milliards d’années dans la ceinture de roches vertes d’Abitibi au Canada. On désigne par cette expression d’anciennes roches formées en surface, qui peuvent être volcaniques ou sédimentaires. L’analyse des inclusions vitreuses de ces komatiites a montré que le magma contenait 30 % d’oxyde de magnésium MgO et 0, 6 % d’eau en poids. Le magma a commencé à cristalliser vers 1 530 °C à une faible profondeur et l’apparition de cristaux d’olivine qui n’ont pas atteint la surface a fait évoluer sa composition – c’est le processus de cristallisation fractionnée. Il a aussi été contaminé par des roches de la croûte.
Ce volcanisme komatiitique n’avait aucun rapport avec la tectonique des plaques. Il était causé par un panache : une lente remontée de roches chaudes provenant du manteau inférieur, voire de la limite entre le noyau et le manteau. Les panaches sont à l’origine des points chauds comme l’île de Hawaii, mais il est important de préciser que ces roches ne fondent qu’à une centaine de kilomètres de profondeur, par décompression adiabatique (sans perte de chaleur). Il y a 2,7 milliards d’années, les roches commençaient à fondre au sommet de la zone de transition, entre 660 et 410 kilomètres de profondeur, or celle-ci contenait – et contient toujours – de l’eau. Sa présence facilitait la fusion, car une roche « humide » fond plus vite qu’une roche sèche. Les roches continuaient à fondre dans le manteau supérieur, par décompression adiabatique, jusqu’à 220 km de profondeur. Tout ceci a été déduit du rapport entre les quantités d’eau et de cérium des inclusions vitreuses des komatiites, qui est très élevé. Ce rapport n’est pas modifié par la fusion, car le cérium se comporte comme l’eau.
Cette déduction a été confirmée par l’étude des komatiites de la ceinture de roches vertes de Barberton, en Afrique du Sud, mais elles sont plus anciennes, avec 3,3 milliards d’années. Ces laves ont été émises dans un environnement marin profond. Il y a cependant un résultat supplémentaire, au sujet de la tectonique des plaques. L’eau des inclusions vitreuses est appauvrie en deutérium (l’isotope lourd stable de l’hydrogène), par rapport à l’eau de surface ou à celle du manteau, mais de manière comparable à celle des plaques océaniques. Ces dernières naissent par solidification de magma basaltique dans les dorsales océaniques et sont par conséquent hydratées dès leur formation. Lors de leur subduction, elles perdent une partie de leur eau.
À cela, s’ajoute la teneur élevée en chlore des inclusions vitreuses, qui fait évidemment penser au chlore de l’eau de mer : ce qu’on appelle communément le sel est du chlorure de sodium. Une autre caractéristique de ces inclusions est leur déficit en plomb. On peut donc aisément conclure qu’un panache, à l’origine du magma komatiitique, a incorporé de l’eau laissée dans le manteau (la zone de transition ?) par une plaque océanique dont la subduction avait commencé il y a plus longtemps que 3,3 milliards d’années. On tient un indice sérieux de l’existence de la tectonique des plaques dès le Paléoarchéen, une période allant de 3,6 à 3,2 milliards d’années.
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Alexander V. Sobolev et al., Deep hydrous mantle reservoir provides evidence for crustal recycling before 3.3 billion years ago, Nature, 15 July 2019.
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