La Terre peut être assimilée à une boule de 6 371 km de rayon, dont la structure est connue principalement grâce à l’étude des ondes sismiques qui la traversent. Elle est composée d’une croûte très fine, de quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres d’épaisseur, d’un manteau solide allant jusqu’à environ 2 900 km de profondeur et d’un noyau composé d’au moins 80 % de fer. Celui-ci a donc 3 471 km de rayon et comporte deux parties : le noyau intérieur ou graine d’environ 1 225 km de rayon et le noyau externe. Le premier est solide et le second est liquide. Sa nature métallique lui confère une densité au moins deux fois plus élevée que celle du manteau.
La pression au centre de la Terre est facile à estimer. Elle est de 365 GPa (gigapascals). Le pascal est l’unité légale de pression mais il est plus parlant d’utiliser le kilogramme par centimètre au carré. Sachant qu’un GPa vaut 10 197 km/cm², la pression au centre de la Terre est de 3,721 millions de kg/cm² ou encore 3 721 tonnes par centimètre au carré. À la surface de la graine, elle se réduit à 330 GPa ou encore 3 365 tonnes par centimètre au carré. Cette surface est celle où le fer solide, sous une telle pression, fond. Des expériences effectuées par des laboratoires français en 2013 (Anzellini, Dewaele…) ont permis d’estimer la température de fusion à 6 230 ± 500 kelvins, soit environ 6 000 °C avec une grosse incertitude. Pour cela, des échantillons microscopiques de fer ont été soumis à des pressions allant jusqu’à 200 GPa dans des cellules à enclumes de diamant. Ils sont chauffés par laser et analysés par rayons X. Les résultats ont ensuite été extrapolés jusqu’à 330 GPa. Ainsi, la surface du noyau interne, zone où le fer passe de l’état solide à l’état liquide, serait approximativement à 6 000 °C, ce qui est plus que précédemment estimé. Le flux élevé de chaleur de la graine vers le manteau serait élevé et entraînerait peut-être une fusion partielle de celui-ci à sa base – où la pression est de 135 GPa.
Au centre de la graine, la température de fusion du fer avoisinerait les 6 700 °C. On sait que le fer possède différentes structures cristallines. À basses pressions et températures, le fer pur a une structure cubique centrée, avec un atome de fer à chaque sommet et un autre au centre du cube. C’est la phase α, dont la masse volumique de 7,86 g/cm³ est très inférieure à celle de la graine (12 à 13 g/cm³). À 912 °C, il adopte la structure cubique à face centrée, qui est plus compacte, avec des atomes à chaque sommet et au centre des faces du cube. C’est la phase γ, qui reste stable sous une pression élevée, jusqu’à 60 GPa. Sous des pressions élevées, la phase α devient la phase ε, où le fer possède une structure hexagonale compacte. À l’heure actuelle, on ne sait pas si le fer du noyau interne est cubique à face centrée (CFC) ou hexagonal compact (HC), mais la deuxième possibilité avait la faveur des scientifiques.
Une équipe internationale dirigée par Anatoly Belonoshko, de l’Institut royal de technologie de Stockholm, vient d’apporter des éléments nouveaux. Leur étude a été publiée dans la revue Nature Communications. Parmi les propriétés de la graine qui ne sont pas compatibles avec la structure hexagonale compacte, on note l’atténuation des ondes sismiques. Durant leur traversée de ce milieu, elles sont fortement atténuées par son inélasticité. Elles perdent de l’énergie. Dans un milieu élastique, les ondes sismiques, qui sont des déformations se propageant de proche en proche, ne sont pas atténuées : le milieu se déforme proportionnellement aux contraintes qui lui sont appliquées et les déformations s’annulent quand les contraintes disparaissent. Il se trouve que le système hexagonal compact est plutôt élastique alors que la graine l’est beaucoup moins. Pour expliquer cette différence, on a suggéré que la graine contiendrait des inclusions liquides, mais la pression les expulserait
La solution proposée est que le fer du noyau interne a une structure cubique à face centrée, dont on a démontré qu’elle pouvait être stable dans ces conditions de pression et de température, tandis que la structure hexagonale compacte ne le serait pas. Pour y voir clair, il a fallu calculer la viscosité du fer CFC à 365 GPa. Les chercheurs ont trouvé qu’elle est étonnamment faible : entre 0,1 et 100 Pa.s. Elle est proche de celle d’un liquide, alors que le fer CFC est un solide cristallin. Cela s’explique par le déplacement des atomes. Dans le système hexagonal compact, ils vibrent autour de leur position d’équilibre, mais dans le système cubique à face centrée, ils se diffusent le long des plans cristallographiques tout en préservant la structure. La viscosité du fer CFC est seulement 40 fois plus grande que celle du fer liquide.
Ce que l’on calcule ici est plus exactement la viscosité dynamique. Elle est exprimée en pascal.seconde Pa.s. Il parfaitement possible de définir la viscosité d’un solide, mais elle est beaucoup plus élevée que celle d’un liquide. La viscosité dynamique de l’eau à 20 °C est de 0,001 Pa.s ; celle de la glycérine à la même température est de 1,49 Pa.s. En revanche, la viscosité dynamique du fer à la pression d’une atmosphère et à haute température vaut dix mille milliards de Pa.s, c’est pourquoi il se comporte comme un solide. Poursuivant les calculs, les chercheurs ont trouvé qu’à la pression de 360 GPa, la viscosité du fer CFC est d’environ 25 Pa.s à un température de 6 200 à 6 700 °C, soit de 0 à 500 °C sous la température de fusion du fer au centre du noyau. Elle diminue quand la température croît, ce qui est intuitif : le fer CFC ramollit en s’approchant de son point de fusion.
La très faible viscosité du noyau interne explique l’atténuation des ondes sismiques. Comme elle dépend de la température, elle pourrait même fournir un moyen d’évaluer les températures régnant dans la graine. Elle permet également de prévoir que des mouvements de convection se produisent dedans. Si leurs vitesses sont proportionnelle à la viscosité, elles iraient de 0,3 à 300 mètres par an et elles expliqueraient les changements de topographie remarquées à la surface du noyau interne. L’hypothèse de la rotation différentielle qui a été faite, selon laquelle différentes régions de la graine ne tourneraient pas à la même vitesse, n’est plus nécessaire.
Le fer ne serait pas le seul constituant du noyau. On y trouverait également des impuretés légères, comme du silicium (un élément majeur du manteau et de la croûte), du soufre, du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène. Si la présence de ces éléments a été supposée, c’est parce que la densité du noyau est plus faible que si elle était constituée de fer pur. Mais pour effectuer ces calculs, on s’est basé sur l’hypothèse que le fer avait la structure hexagonale compacte. La quantité d’impuretés doit donc être réévaluée, mais cela ne devrait pas changer notablement les résultats obtenus, de même que la prise en compte du nickel, un métal de poids atomique proche de celui du fer dont la proportion serait de 10 %.
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Anatoly B. Belonoshko et al., Low viscosity of the Earth’s inner core, Nature communications, 6 June 2019.
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