Il est bien connu que la vie sur Terre et la géologie de la planète sont étroitement liées, mais une nouvelle étude fournit de nouvelles preuves de la profondeur réelle de cette relation. Les géoscientifiques du Caltech et de l’UC Berkeley ont identifié une signature chimique dans les roches magmatiques, enregistrant le début de l’oxygénation des océans profonds de la Terre – un signal qui a réussi à survivre dans la fournaise du manteau. Cette oxygénation est d’un grand intérêt, car elle a marqué l’ère moderne des niveaux élevés d’oxygène atmosphérique et océanique et aurait permis la diversification de la vie dans les océans.
Leurs découvertes, publiées dans les Proceedings of National Academy of Science du 11 avril, appuient une théorie fondamentale sur la géochimie des magmas d’arc insulaire et offrent un exemple rare de processus biologiques à la surface de la planète affectant l’intérieur de la Terre.
Des arcs insulaires se forment lorsqu’une plaque tectonique océanique glisse sous une autre au cours d’un processus appelé subduction. La plaque subduite descend et libère des fluides riches en eau dans le manteau sous-jacent, ce qui le fait fondre et produit des magmas qui finissent par atteindre la surface de la Terre. Ce processus construit des volcans d’arc insulaires comme ceux que l’on trouve aujourd’hui dans les îles japonaises et ailleurs dans la ceinture de feu du Pacifique. Finalement, grâce à la tectonique des plaques, les arcs insulaires se heurtent et s’incorporent aux continents, ce qui les préserve dans les archives rocheuses au fil du temps.
Les roches magmatiques les plus abondantes sont les basaltes de couleur foncée et à grains fins que l’on trouve couramment dans les coulées de lave. Aujourd’hui, la plupart des basaltes sur la Terre ne se forment pas sur les arcs insulaires, mais plutôt sur les dorsales océaniques situées en profondeur. Une différence bien connue entre les deux est que les basaltes d’arc insulaire sont plus oxydés que ceux des dorsales océaniques.
Une explication généralement admise mais discutée de cette différence est que la croûte océanique est oxydée par l’oxygène et les sulfates dans les profondeurs de l’océan avant qu’elle ne soit subduite dans le manteau, délivrant un matériau oxydé à la source mantellique des arcs insulaires au-dessus de la zone de subduction.
Mais on ne pense pas que la Terre a toujours eu une atmosphère oxygénée et un océan profond. Les scientifiques pensent plutôt que l’émergence de l’oxygène et, partant, la capacité de la planète à maintenir une vie aérobie, s’est produite en deux étapes. Le premier événement, qui s’est déroulé il y a environ de 2,3 à 2,4 milliards d’années, a entraîné une augmentation du taux d’oxygène dans l’atmosphère de plus de 100 000 fois, pour atteindre environ 1 % des niveaux actuels.
Bien qu’elle ait été considérablement plus élevée qu’elle ne l’était avant cet évènement, la concentration atmosphérique en O₂ était encore trop faible pour permettre l’oxygénation de l’océan profond, qui serait resté anoxique jusqu’il y a environ 400 à 800 millions d’années. À peu près à la même époque, on pense que les concentrations atmosphériques d’O₂ ont atteint 10 à 50 % des niveaux actuels. Ce deuxième saut aurait permis à l’oxygène de circuler dans l’océan profond.
« Si la raison pour laquelle les arcs insulaires modernes sont relativement oxydés est due à la présence d’oxygène dissous et de sulfate dans les profondeurs de l’océan, elle constitue un potentiel de prédiction intéressant », déclare Daniel Stolper (Caltech PhD), l’un des auteurs de l’étude et un professeur adjoint de sciences de la Terre et des planètes à l’Université de Berkeley. « Nous savons à peu près quand les océans profonds ont été oxygénés et donc, si cette idée est correcte, on pourrait voir un changement dans la façon dont les roches d’arc insulaires anciennes se sont oxydées avant ou après cette oxygénation. »
Pour rechercher le signal de cet événement d’oxygénation dans les roches magmatiques d’arc insulaire, Stolper s’est associé à Claire Bucholz, professeuse adjointe de géologie à Caltech, qui étudie les roches magmatiques anciennes et modernes. Stolper et Bucholz ont passé au crible les enregistrements publiés d’arcs insulaires et compilé des mesures géochimiques révélant l’état d’oxydation des roches d’arc émises il y a des dizaines de millions à des milliards d’années. Leur idée était simple : si les matériaux oxydés de la surface sont subduits et oxydent les régions du manteau qui sont à l’origine des arcs insulaires, les roches d’anciens arcs devraient être moins oxydées (et donc plus « réduites ») que leurs homologues modernes.
« Ce n’est plus aussi courant, mais les scientifiques mesuraient systématiquement l’état d’oxydation du fer dans leurs échantillons de roche », explique Bucholz. « Il y avait donc une mine de données qui ne demandait qu’à être réexaminées. »
Leur analyse a révélé une signature distincte : une augmentation détectable du fer oxydé dans des échantillons de roches entre 800 et 400 millions d’années, le même intervalle de temps que celui dans lequel des études indépendantes ont proposé l’oxygénation de l’océan profond. Pour être rigoureux, les chercheurs ont également envisagé d’autres explications possibles du signal. Par exemple, il est communément admis que l’état d’oxydation du fer dans les roches peut être modifié par des processus métamorphiques – le chauffage et le compactage des roches – ou par des processus se produisant à la surface de la terre ou à proximité de celle-ci. Bucholz et Stolper ont mis au point divers tests pour déterminer si de tels processus avaient affecté l’enregistrement. Selon Bucholz, des modifications ont certainement eu lieu, mais de manière cohérente partout où des échantillons ont été prélevés. « La quantité de fer oxydé dans les échantillons peut avoir été changée après refroidissement et solidification, mais elle semble l’avoir été de manière similaire dans tous les échantillons », dit-elle.
Stolper et Bucholz ont en outre compilé un autre indicateur géochimique, supposé refléter l’état d’oxydation de la source mantellique des magmas d’arc. De manière rassurante, cet enregistrement indépendant a donné des résultats similaires à ceux de l’état d’oxydation du fer. Sur cette base, les chercheurs ont suggéré que l’oxygénation des grands fonds marins affectait non seulement la surface de la Terre et les océans, mais modifiait également la géochimie d’une classe majeure de roches magmatiques.
Ce travail complète les recherches antérieures de Bucholz qui examinaient les changements dans les signatures d’oxydation des minéraux des roches magmatiques associés au premier événement d’oxygénation il y a 2,3 milliards d’années. Elle a recueilli des granites de type sédimentaire, ou de « type S », formés lors de l’enfouissement et du chauffage des sédiments lors de la collision de deux masses continentales, par exemple dans l’Himalaya, où le sous-continent indien est en collision avec l’Asie.
« Les granites représentent des sédiments fondus qui se sont déposés à la surface de la Terre. Je voulais tester l’idée que les sédiments pourraient toujours enregistrer la première augmentation du taux d’oxygène sur Terre, bien qu’ils aient été chauffés et fondus pour créer du granite », explique-t-elle. « Et effectivement, c’est le cas. »
Les deux études parlent du lien étroit qui existe entre la géologie de la Terre et la vie qui s’y développe, dit-elle. « L’évolution de la planète et de la vie qui s’y trouve sont étroitement liées. Nous ne pouvons pas comprendre l’un sans comprendre l’autre », a déclaré Bucholz.
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Traduction d’un communiqué de presse de Robert Perkins pour le California Institute of Technology.
Daniel A. Stolper, Claire E. Bucholz, Neoproterozoic to early Phanerozoic rise in island arc redox state due to deep ocean oxygenation and increased marine sulfate levels, Proceedings of the National Academy of Science, April 30, 2019.
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