Le noyau de l’atome d’oxygène comporte 8 protons. Il y a 8 électrons qui forment un nuage autour de lui, de sorte que l’atome est électriquement neutre. Le noyau comporte aussi des neutrons, qui ont pour seul effet de le rendre plus lourd. Généralement, il y en a 8, de sorte que le noyau est composé de 16 nucléons (protons et neutrons). On dit que c’est un isotope de cet élément et on l’appelle l’oxygène 16. Son abondance moyenne est de 99,75 %. Il y a aussi l’oxygène 18, avec 10 neutrons, qui représente 0,20 % de cet élément. Les autres isotopes ne jouent ici aucun rôle.
Une molécule d’eau H₂O a deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène. La plus fréquente est l’eau « légère », avec de l’oxygène 16. Il y a un peu d’eau « lourde » avec de l’oxygène 18 (cette expression a habituellement un tout autre sens). Le rapport 18O/16O est normalement de 1/498,75 : c’est le taux d’oxygène 18 divisé par le taux d’oxygène 16. Quand de l’eau de mer s’évapore, il y a plus d’eau « légère » qui s’envole que d’eau « lourde ». Par conséquent, la vapeur d’eau a un rapport 18O/16O plus bas que celui de l’eau de mer. Elle prend de l’altitude et est poussée par les vents. De temps en temps, elle se condense pour former des nuages, qui sont des ensembles de gouttelettes très petites. Ces gouttelettes peuvent se transformer en gouttes de pluie si elles grossissent. Or il y a plus d’eau « lourde » qui se condense que d’eau « légère », de sorte que la vapeur d’eau qui reste est allégée : son rapport 18O/16O, déjà bas à son départ, est encore abaissé. Cette baisse se poursuit sur tout son trajet, jusqu’au moment où elle arrive par exemple sur un continent.
Les climatologues n’utilisent pas le rapport 18O/16O, mais son écart avec le rapport isotopique moyen de l’océan (SMOW, Standard Mean Ocean Water), qui est d’environ 1/500. C’est un nombre noté δ18O (delta O dix-huit). Une eau ou une vapeur d’eau « allégée » par rapport à la valeur moyenne de l’océan possède un δ¹⁸O négatif. Le schéma montre un nuage qui se dirige de l’Atlantique vers le Massif central. Le δ18O de la vapeur d’eau, qui était de –10 ‰ (moins dix pour mille) au départ, arrive au-dessus du continent avec un δ18O de –25 ‰. Il en tombe une pluie avec un δ18O de –15 ‰. Cela donne la mesure de sa perte en oxygène 18 ou de son enrichissement en oxygène 16, depuis que l’eau a quitté la mer, où δ18O = 0 par définition.
Lorsque l’eau s’évapore dans les régions tropicales et que les nuages gagnent les pôles, c’est pareil, bien que ce soit de la neige qui tombe et non pas de la pluie. Les valeurs du δ18O de cette neige varient entre – 30 ‰ et – 42 ‰. Les climatologues, sur une année entière, mesurent simultanément le δ18O de la neige qui tombe et la température des nuages d’où elle est tombée, et ils obtiennent une relation très simple qui dépend du lieu où ils se trouvent : l’Antarctique ou le Groenland.
Les calottes glaciaires se constituent par accumulation de neige, qui se compacte et devient de la glace. Celle-ci coule toujours le long des pentes. C’est très lent, mais au fil des années, cela se voit. Les climatologues font donc des forages aux endroits où le sol est le plus horizontal. Sous la station russe Vostok, la glace a pu s’accumuler et rester sur place pendant ces centaines de milliers d’années. Un forage réalisé en 1 998 a permis de remonter des carottes de glaces d’une longueur totale de 3 623 mètres dont l’âge remonte jusqu’à 420 000 ans. Pour chaque tranche de carotte, on a déterminé son âge et son δ18O, ce qui a permis de connaître la température des nuages. Cerise sur le gâteau, quand la neige tombe, elle emprisonne de l’air. Cela permet de connaître la composition de l’air au moment où elle est tombée, y compris de gaz comme le dioxyde de carbone. En 2004, le forage EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica) au Dôme C, a permis de remonter jusqu’à 740 000 ans et d’obtenir cette courbe :
Pour remonter plus loin dans le temps, on utilise les calcaires du fond des océans, qui a été synthétisé par des animaux. Les scientifiques extraient par conséquent des carottes de sédiments, dont l’âge peut aller jusqu’à 150 millions d’années. On remonte le temps beaucoup plus loin qu’avec la glace, mais malheureusement, cette technique ne donne aucune indication sur la composition de l’atmosphère. De plus, elle ne renseigne pas directement sur la température.
Des animaux marins fabriquent des coquilles en calcaire à partir des ions bicarbonates HCO3⁻ qu’ils trouvent dans l’eau. Une molécule de calcaire CaCO3 comporte un atome de calcium, un atome de carbone et trois atomes d’oxygène. Dans les coquilles de ces animaux, on peut mesurer le rapport entre l’oxygène 18 et l’oxygène 16, qui est le même que celui des carbonates extraits de l’eau où ils ont nagé. On définit un δ18O en prenant comme valeur standard le calcaire des rostres de Bélemnites. Ce sont des Céphalopodes qui ont vécu dans les mers tropicales très chaudes du Crétacé. Il n’en reste généralement que le rostre, un cône pointu servant de coquille à l’arrière de l’animal. On les trouve en grande quantité dans la formation de Pee Dee en Caroline du Sud, aux USA. Par définition, ces rostres ont un δ18O nul. Si le calcaire d’un autre animal a un δ18O positif, c’est parce qu’il contient plus d’oxygène 18 ou moins d’oxygène 16 que ces rostres.
Le δ18O des ions carbonates, et donc du calcaire synthétisé par les animaux, dépend de deux facteurs : la température de l’eau de mer et le rapport 18O/16O de cette eau. Si la température de l’eau diminue de 4 °C, le δ18O des carbonates augmente de 1 ‰. Quant au rapport 18O/16O de l’eau de mer, il dépend de la quantité de glace accumulée sur les calottes polaires. Cette glace est une eau enrichie en oxygène 16, si bien que les océans sont appauvris en oxygène 18. Les deux phénomènes jouent dans le même sens : une baisse de température de l’eau de mer et une accumulation de glaces sur les pôles font grimper le δ18O des carbonates. Il est souvent difficile de dire lequel de ces phénomènes a joué.
Pour avoir des données plus parlantes, on mesure le δ18O des Foraminifères benthiques, qui vivent au fond des océans, des Foraminifères planctoniques, qui vivent dans les eaux de surface. Les températures de ces eaux reflètent de la base de l’atmosphère, qui connaît toujours des variations rapides. Les eaux des abysses ont une inertie beaucoup plus grande, si bien que le δ18O des Foraminifères benthiques reflète les variations de températures du Globe sur de longues périodes. Les graphiques utilisés montrent l’évolution de ce δ18O au cours des 66 derniers millions d’années et illustrent très bien le refroidissement de la Terre. De 66 à 34 millions d’années, on pense qu’il n’y avait pas de glace, si bien que le δ18O n’est lié qu’à la température. Il a été converti en différence de températures ΔT dans les océans polaires, ce δ18O ayant été mesuré à ces latitudes. On retrouve une bonne correspondance entre le δ18O et la température durant les derniers 12 millions d’années. Pour les époques intermédiaires, le δ18O est plutôt lié à l’évolution de la calotte glaciaire de l’Antarctique.
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