Le stockage en profondeur des déchets nucléaires est un problème sensible que je vais m’efforcer d’aborder sans prendre partie, en expliquant comment il se présente. Il ne s’agit pas de défendre l’industrie nucléaire. Ces déchets ont été produits et l’on est bien obligé de les mettre quelque part. Leur entreposage actuel est correctement maîtrisé. On pourrait donc les laisser là où ils sont, mais cela nécessite une surveillance permanente et l’on peut hésiter à laisser cette tâche aux générations futures. Mais que dis-je ! Il s’agit plutôt des civilisations futures, puisque ces déchets resteront radioactifs pendant des dizaines de milliers d’années. C’est comme si nous devions nous occuper de résidus toxiques laissés par des hommes du Paléolithique.
L’idée est d’enfouir des déchets à des centaines de mètres de profondeur, de manière à ce qu’ils deviennent inoffensifs pour l’environnement et qu’ils puissent être oubliés. Puisqu’ils devront être stockés dans des roches pendant une très longue période, c’est aux géologues qu’il revient d’examiner ce problème. Il faut choisir des zones stables de la croûte continentale, comme le bassin parisien. Les contraintes tectoniques, c’est-à-dire les forces qui tentent à déformer ou à briser la croûte, y sont très faibles. On est sûr qu’il ne va rien s’y produire de notable durant les prochains millions d’années. Le bassin parisien s’est constitué depuis la fin du Paléozoïque, il y a plus de 252 millions d’années. Durant tout le Mésozoïque, jusqu’il y a 66 millions d’années, il n’a connu que de la sédimentation. Plus de 3 000 mètres de roches sédimentaires, en certains endroits, se sont accumulés : des calcaires, des argiles et diverses évaporites. Ces dernières sont des minéraux qui ont précipité dans un environnement marin. Le gypse en est un exemple. On rencontre aussi des accumulations de matière organique qui se sont parfois transformées en hydrocarbures. Ces sédiments sont souvent mélangés. Ainsi, les marnes comportent à la fois des calcaires et des argiles.
Le site de stockage de Bure se trouve dans le bassin parisien, à la frontière entre la Haute-Marne et la Meuse. À environ 500 mètres sous terre, on rencontre des argiles du Jurassique datées de deux périodes : le Callovien (de 166 à 163,5 Ma) et l’Oxfordien (de 163,5 à 157 Ma). Cette couche est homogène et dépasse les 130 mètres d’épaisseur. Elle ne comporte aucune faille, ce qui montre que les contraintes tectoniques y sont quasiment nulles. Les failles étant toujours causées par des séismes, la zone est sismiquement inactive. De plus, les argiles sont capables de subir de légères déformation sans se briser. Cette plasticité est une qualité recherchée pour le stockage des déchets radioactifs. Certains pays envisagent le stockage dans des granites, roches résistances et faiblement poreuses, mais elles sont sensibles aux forces tectoniques et l’eau peut circuler dans des fractures.
Le problème de l’eau est très important, puisqu’elle est susceptible de transporter des éléments radioactifs vers la surface. Les déchets à haute activité (HA) sont incorporés dans une pâte de verre insoluble possédant une capacité de confinement élevée et durable. Le tout est coulé dans un colis en inox. Il y a environ 70 kg de déchets pour 400 kg de verre. Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) sont compactés et placés dans des colis en béton ou en métal. Malgré les précautions prises, quand les colis seront placés dans des roches-hôtes, les verres et les oxydes d’uranium se dissoudront inévitablement dans l’eau que celles-ci contiennent, mais ça prendra au moins 10 000 ans. Ce seront alors les roches-hôtes qui assureront le confinement des déchets. Selon leurs propriétés, certains éléments radioactifs pourront migrer vers le haut, seront entraînés par un aquifère (une couche de roches perméables où l’eau circule) et sortiront par un exutoire (la source d’une rivière).
À défaut de pouvoir empêcher le phénomène, il faut le retarder, c’est pourquoi les roches-hôtes doivent être aussi peu perméables que possible. Les argiles ont cette propriété, bien qu’elles soient toujours chargées en eau – elles en contiennent entre 20 et 40 %. Cette eau est présente mais elle ne circule pas : les argiles sont poreuses mais pas perméables. On sait que des éléments présents dans des formations géologiques très peu perméables peuvent mettre des millions d’années avant de gagner un aquifère puis un exutoire, or plus il s’écoule de temps, plus la radioactivité de ces éléments décroît. On estime que, dans le site de Bure, seuls le chlore 36 et l’iode 129 pourront quitter la couche d’argiles, mais il y a des géologues pour en douter. D’après eux, on ne peut pas prévoir l’interaction des eaux souterraines avec les systèmes de confinement sur de longues périodes de temps. Précisons bien qu’à court terme, le stockage en profondeur ne présente strictement aucun danger pour les habitants de la région de Bure.
Enfin, il faut s’assurer que personne, dans l’avenir, n’aura l’idée de faire des forages. Ces déchets pourraient alors être découverts de manière fortuite. Pour cela, on s’assure que le sous-sol ne contient aucune richesse qui vaille la peine d’être exploitée. Il n’y a ni combustible fossile, ni minerai. Un forage effectué à 2 000 mètres de profondeur a montré l’absence de ressources géothermiques qui puissent être intéressantes. Mais à vrai dire, s’il y a un facteur difficile à évaluer, c’est bien celui-là. Nous ignorons quelles civilisations vont succéder à la nôtre. Peut-être seront-elles passionnées par l’exploration géologique de notre planète. Il est inexact de dire que le sous-sol de Bure ne contient rien d’intéressant, car le creusement du site a permis de découvert des fossiles du Jurassique qui ont fait les délices des paléontologues.
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