Les hydrocarbures se présentent sous la forme d’huiles, que l’on appelle le pétrole, et de gaz. Étymologiquement, le pétrole est une « huile de pierre », du latin petra « pierre » et oleum « huile ». Ils proviennent de la matière organique qui s’est déposée sous la mer, dans des bassins sédimentaires. La mer s’est retirée de certains d’eux, ce qui facilite l’exploitation des hydrocarbures, mais ils peuvent également être extraits en milieu offshore (au large) comme dans la Mer du Nord. Le dépôt de matière organique se produit également sur les planchers des océans et des hydrocarbures peuvent très bien s’y former, mais ils ne sont pas exploitables. Il y en a dans l’océan Arctique.
Le pétrole aujourd’hui utilisé provient en grande partie du Mésozoïque (de 252 à 66 millions d’années), mais de la sédimentation de matière organique s’est produite beaucoup plus tôt. On connaît un champ pétrolifère géant âgé de deux milliards d’années. Évidemment, son évolution s’est poursuivie et il n’en reste plus maintenant que du carbone presque pur appelé du pyrobitume.
Ici, il sera surtout question des conditions permettant la formation des hydrocarbures, à partir de la photosynthèse de la matière organique. Leur migration en dehors de leur roches-mères et leur piégeage ne seront pas abordés.
Photosynthèse et exportation de la matière organique
Dans l’atmosphère et dans les minéraux, le carbone est normalement oxydé. Il s’associe à des atomes d’oxygène qui lui soutirent les électrons, comme dans le dioxyde de carbone CO2 et la calcite CaCO3. Ce carbone est dit minéral. Dans la matière organique, le carbone est réduit au lieu d’être oxydé, c’est-à-dire qu’il a capté des électrons. C’est le résultat de la photosynthèse effectuée par les cyanobactéries et les plantes, lesquelles se trouvent à la base de la chaîne alimentaire. La matière organique est parfois représentée de manière très simplifiée par la formule CH2O, ce qui veut dire qu’elle contient deux atomes d’hydrogène pour un atome de carbone et un atome d’hydrogène. On néglige le soufre, l’azote et d’autres éléments présents en faible quantité. C’est la présence de l’hydrogène qui a un effet réducteur sur le carbone. Ainsi, la photosynthèse s’écrit :
CO2 + H2O + [énergie solaire] → CH2O + O2.
La transformation de la matière organique en hydrocarbures consiste à réduire encore plus son carbone. Les substances obtenues sont appelées ainsi car elles sont composées essentiellement de carbone et d’hydrogène. L’oxygène a donc été éliminé. La réduction du carbone atteint son maximum au sein de la molécule de méthane CH4, qui compose jusqu’à 90 % du gaz naturel. Brûler du méthane, c’est effectuer la réaction
CH4 + 2 O2 → CO2 + 2 H2O
qui reminéralise le carbone puisqu’elle reconstitue une molécule de dioxyde de carbone. On peut dire qu’un cycle a été effectué. L’énergie du rayonnement solaire qui avait été absorbée lors la photosynthèse est restituée.
La biomasse marine est principalement unicellulaire. Elle est surtout produite dans la zone photique, jusqu’à une centaine de mètres de profondeur. Le phytoplancton comprend des bactéries et des algues unicellulaires. Il est consommé par le zooplancton et les métazoaires (les animaux pluricellulaires). Ceux-ci rejettent une partie de cette matière organique sous forme de pelotes fécales, qui sont mesure de couler, alors que les cellules ont une excellente flottabilité. La nécromasse microbienne susceptible de couler comprend des produits de la lyse cellulaire, des restes de membranes bactériennes, ainsi que des endospores : des structures apparaissant parfois dans le cytoplasme des bactéries. La matière organique quittant la zone photique pour sombrer dans les profondeurs de l’océan est dite exportée. Elle est surtout composée de pelotes fécales et de nécromasse microbienne et se présente sous forme de particules microscopiques, parfois adsorbée par des particules d’argiles qui accélèrent leur descente.
C’est cette matière organique exportée qui va engendrer des hydrocarbures, après un très long processus. Il faut d’abord qu’elle se dépose dans les sédiments marins et qu’elle ne soit pas dégradée, or sa dégradation est toujours une oxydation : au bout du compte, elle redevient de l’eau et du dioxyde de carbone, avec consommation d’oxygène. On peut dire que la dégradation est l’inverse de la photosynthèse.
Zones à minimum d’oxygène et milieu euxinique
Les milieux manquant d’oxygène sont favorables à l’accumulation de matière organique. Il en existe dans les océans grâce aux upwellings. Il s’agit de montées d’eaux profondes sous l’effet des vents, qui chassent les eaux de surface. Elles se produisent à l’équateur et le long de certaines côtes, notamment à l’ouest des Amériques et de l’Afrique, à de basses latitudes. Ces eaux profondes apportent des nutriments, comme des nitrates et des phosphates, favorisant la croissance du phytoplancton et de toute la biomasse marine, jusqu’aux poissons. En conséquence, la descente de pelotes fécales et de nécromasse s’intensifie. Ces particules de matière organique s’agrègent, éventuellement avec des particules minérales, en des flocons de neige marine dont la taille peut atteindre quelques millimètres.
Entre 50 et 1 000 mètres de profondeur, la consommation d’oxygène peut être trop élevée, si bien qu’une zone anoxique apparaît. L’oxygène reste présent en surface grâce aux vents et aux courants, qui brassent les eaux de surface. Il peut également subsister sous la zone anoxique, grâce à l’insuffisance de l’activité planctonique et benthique consommatrice d’oxygène. On l’appelle une zone à minimum d’oxygène. Elle permet à la matière organique de s’accumuler dans les sédiments à proximité des rivages.
Durant le Jurassique et le Crétacé, des évènements anoxiques globaux se sont produits grâce à un climat très chaud : au Toarcien (de 183 à 174 millions d’années), à l’Aptien (de 125 à 113 Ma) et surtout au passage Cénomanien/Turonien il y a 94 Ma. L’oxydation d’une matière organique surabondante a entraîné la disparition de l’oxygène jusque dans les fonds océaniques, sans doute par extension des zones à minimum d’oxygène. Elles ont aussi gagné les plateaux épicontinentaux. Ce sont des périodes propices à la formation de pétrole, d’autant plus que le niveau des mers était alors élevé. Le bassin Parisien, par exemple, a longtemps été immergé.
Aujourd’hui, un autre milieu anoxique est la Mer Noire. Dans cette mer fermée, qui est en fait un vestige d’océan atteignant 2 200 mètres de profondeur. les masses d’eau stagnent et se stratifient. L’eau douce apportée par les fleuves est oxygénée et donc propice à la vie, mais elle est moins dense que les eaux de fond et elle ne circule qu’en surface. À partir de quelques centaines de mètres de profondeur, il n’y a plus d’oxygène. On y trouve au contraire de l’hydrogène sulfuré H2S à l’odeur d’œuf pourri, formé par réaction de la matière organique exportée avec les ions sulfate, qui sont abondants dans l’eau de mer. C’est une sulfato-réduction :
2 CH2O + SO42- → H2S + 2 HCO3– (ions bicarbonate).
Un tel milieu est dit euxinique (du Pont-Euxin, ancien nom de la Mer Noire). L’absence d’oxygène interdit aux animaux d’y vivre, notamment à la faune benthique (qui vit sur les fonds marins). Le calcaire est dissous par les acides organiques. Les sédiments se déposent lentement et rien ne peut les perturber, puisqu’il n’y a pas de courants ni d’animaux. Des successions de périodes de développement intense de plancton se traduisent par une stratification des sédiments.
Reminéralisation de la matière organique
On estime que seulement 1 % de la matière organique exportée subsiste dans les sédiments océaniques. Tout le reste est dégradé dans la colonne d’eau et dans les sédiments superficiels, en grande partie par l’action de micro-organismes (bactéries et archées). En revanche, jusqu’à 40 % la matière organique déposée sur les marges continentales peut être préservée. Ce sont par conséquent des lieux privilégiés de formation des hydrocarbures. Parmi les causes de cette meilleure préservation, figure un taux de sédimentation plus élevé que sur les fonds océaniques, en particulier d’argiles, qui préservent la matière organique de l’oxydation grâce à leur imperméabilité. Les argiles et les silts (du sable très fin) continentaux en comportent actuellement 8 millions de gigatonnes, avec une concentration d’environ 1 %. Les carbonates et les sables en contiennent cinq fois moins et la concentration tourne autour de 0,3 %. Mais il faut ajouter que cette matière organique est d’origine en partie continentale : elle comprend des débris de végétaux apportés par les fleuves.
Les argiles feuilletées riches en matière organique, reconnaissables à leur couleur sombre, sont appelées black shales en anglais, expression souvent reprise en français. On pourrait la traduire par pélite noire. La couleur noire de ces argiles est due à la présence de matière organique, mais parfois aussi aux cristaux de pyrite FeS2 qui se sont formés à partir de sulfure d’hydrogène et d’ions ferreux.
Dans les sédiments océaniques, la concentration en matière organique est en moyenne de 0,25 %, mais elle atteint les 3,5 % à l’ouest des côtes américaines, dans les zones à minimum d’oxygène. La marge de la Mauritanie en est pauvre à cause de l’oxygénation de ses eaux, bien qu’elle soit le lieu d’un important upwelling côtier avec une production primaire élevée.
La dégradation, ou reminéralisation, de la matière organique, commence par son hydrolyse, qui sépare ses molécules. Dans la zone aérobie, des bactéries et des animaux décomposent celles-ci par action enzymatique, tout en utilisant de l’oxygène. Au sein de la zone anaérobie, située dans l’eau ou dans les sédiments, la dégradation de la matière organique se poursuit, mais elle n’utilise pas l’oxygène dissout dans l’eau. La sulfato-réduction décrite précédemment, qui libère de l’hydrogène sulfuré, est une réaction d’oxydation de la matière organique.
Il existe quatre autres voies de reminéralisation. La dénitrification réduit les ions nitrate NO3– en diazote N2. La réduction des oxydes de manganèse MnO2 les transforme en ions Mn2+. La réduction des oxydes de fer produit des ions ferreux Fe2+. Enfin, des archées méthanogènes, qui ne peuvent vivre dans un milieu aérobie, produisent du méthane. Il s’agit de procaryotes (cellules sans noyau) distinctes des bactéries. Dans certains sédiments profonds, en particulier sur les talus continentaux, leur action conduit à la formation de clathrates de méthane (ou hydrates de méthane), que l’on songe à utiliser comme source d’énergie.
Diagenèse et formation du kérogène
À ce stade, les sédiments sont encore une boue comportant une forte proportion d’eau de mer. La sédimentation se poursuivant, cette boue est tassée, mais le processus est extrêmement lent. Il est moins lent sur les plateaux continentaux qu’au fond des océans, puisque la vitesse de sédimentation y est plus élevée. Les argiles, les silts et les sables proviennent de l’érosion des surfaces émergées des continents. Au fil des millions d’années, l’épaisseur des sédiments s’accroit au point qu’elle provoque une subsidence : la croûte continentale s’enfonce dans le manteau. Dans les bassins sédimentaires, elle atteint couramment plusieurs milliers de mètres, or la température augmente avec la profondeur parce que la chaleur produite dans la croûte est évacuée. C’est en partie la désintégration des éléments radioactifs comme l’uranium, le thorium et le potassium 40 qui produisent cette chaleur.
L’augmentation de la température et de la pression des sédiments entraînent leur diagenèse. De roches meubles, ils sont transformés en roches consolidées. On considère que ce phénomène se produit jusqu’à une dizaine de kilomètres, profondeur à laquelle la température avoisine les 300 °C. Le domaine situé au-delà est celui du métamorphisme. En géologie du pétrole, cependant, on donne une signification plus restreinte à ce terme : la diagenèse va jusqu’à 2 000 mètres environ et la température ne dépasse pas les 60 °C. La transformation thermique de la matière organique s’appelle sa maturation.
Lors de sa première étape, la matière est dégradée de manière aérobie puis anaérobie par des micro-organismes, qui libèrent de l’ammoniac NH3, du sulfure d’hydrogène, de l’eau et du dioxyde de carbone, ainsi que des ions hydrogénocarbonate HCO3–, sulfate, hydrogénophosphate HPO42-, etc. Ces composés sont riches en oxygène. Initialement composée de glucides, de lipides et d’acides aminés, la matière organique se dégrade en acides fulviques, acides humiques et humines. Ce sont des constituants de l’humus, connu pour constituer la partie supérieure du sol.
L’augmentation de la température entraîne la fin de l’activité bactérienne, mais la matière organique est à présent dégradée par craquage thermique. Elle continue à perdre de l’eau et du dioxyde de carbone, ainsi que des composés lourds regroupés sous le nom de bitume (asphaltènes et résines), riches en oxygène, azote et soufre, très visqueux, qui sont insolubles dans l’eau mais solubles dans les solvants organiques (benzène, éthanol, acétone, éther…). La fraction insoluble dans les solvants organiques de matière organique qui subsiste s’appelle le kérogène. Son nom signifie en grec « qui engendre la cire », parce qu’il va expulser des huiles lors de la catagenèse.
La matière organique sédimentée au fond des mers et des océans n’est pas seule à se dégrader en kérogène. On dit qu’elle forme un kérogène de type II, dont l’exemple type est fourni par les schistes-cartons du Toarcien (183-174 Ma) dans le bassin Parisien. Ce sont des calcaires et des marnes feuilletés où du pétrole s’est formé et a migré dans les strates du Jurassique supérieur. Le kérogène de type III correspond aux débris de végétaux supérieurs, susceptibles être transformés en charbon.
La catagenèse et la métagenèse
La catagenèse se déroule à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres. Alors que durant la diagenèse, le kérogène perdait son oxygène, il perd à présent son hydrogène, qui passe dans les hydrocarbures. Ces deux phases sont respectivement appelées « l’époque de l’oxygène » et « l’époque de l’hydrogène ». Le pétrole, qui comprend au maximum 40 % de carbone organique, résulte en partie du craquage du kérogène, mais surtout des asphaltènes et résines formés durant la diagenèse. Cela se fait à des températures comprises entre 100 et 140 °C. Les premières huiles sont lourdes : elles ont entre 15 et 40 atomes de carbone. Avec l’augmentation de la profondeur et de la température, elles deviennent plus légères, puis du gaz humide ou gaz à condensat apparaît. La « fenêtre à huiles » des géologues pétroliers se referme alors.
Durant la métagenèse, au-delà de 4 000 mètres de profondeur, le kérogène résiduel ne contient quasiment plus d’oxygène et d’hydrogène. Il est surtout riche en carbone, si bien que ce dernier stade est appelé « l’époque du carbone ». Entre 180 et 220 °C, par craquage thermique ultime du kérogène, les groupes méthyle CH3– qu’il comporte sont libérés sous forme de méthane. On parle alors de « fenêtre à gaz ». En même temps, le pétrole qui n’a pas migré subit un craquage secondaire. Il est décomposé en gaz et en une fraction carbonée appelée pyrobitume, qui s’adjoint au kérogène résiduel. Ils acquièrent une structure pré-graphite, le graphite étant le polymorphe du carbone pur dans la partie supérieure de la croûte.
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