L’éon qui s’étend de la naissance de la Terre jusqu’aux gneiss d’Acasta s’appelle l’Hadéen, du nom du dieu grec des enfers, Hadès, parce qu’on pensait qu’elle était recouverte de magma. Mais en 2001, John Valley découvre des cristaux de zircon dont l’âge atteint les 4,4 milliards d’années et qui prouvent que de l’eau liquide a existé à la surface de la Terre dès cette époque, en grande quantité. On peut donc imaginer que la vie était possible dans les océans hadéens. Il reste à savoir quelles roches étaient présentes. Actuellement, la croûte océanique est basaltique. La croûte continentale est plus riche en silice SiO₂. Elle comporte une grande part de granites, qui ont au moins 65 % de silice. Ces roches étaient autrefois dites « acides », terme a été remplacé par celui de « felsique ». Ce pourcentage de silice est en fait celui du magma qui s’est solidifié en granites. La silice cristallisée est du quartz, l’un des trois minéraux principaux de ces roches.
Les zircons sont des minéraux secondaires des roches felsiques. Si la roche est détruite, par érosion ou fusion, ces cristaux subsistent et peuvent être inclus dans d’autres roches, car ils sont quasiment indestructibles. Lors de leur cristallisation, ils incorporent de l’uranium qui se transforme par radioactivité en plomb. Cela fournit un moyen simple et sûr de déterminer l’âge du zircon et donc celui de la roche où il est né. Les zircons hadéens proviennent en majeure partie de l’Australie, notamment d’une région appelée Jack Hills.
Controverse sur des roches québécoises
Pour effectuer leurs recherches, P. Boehnke et ses collègues ont pris des échantillons de la ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq au nord du Québec, sur la côte est de la baie d’Hudson. C’est un affleurement de 8 km². La principale roche est l’amphibolite de Faux. Elle est métamorphique, c’est-à-dire qu’elle résulte de la transformation par la chaleur et la pression d’une roche antérieure (un protolithe). Ce pourrait être des cendres volcaniques à caractère basaltique. Comme elle ne contient pas de zircon, Jonathan O’Neil de l’Université McGill à Montréal a utilisé en 2008 un autre moyen de datation. Il repose sur le samarium 146, un élément du groupe des terres rares qui se désintègre par radioactivité en néodyme 142 avec une demi-vie de 103 millions d’années. Cela veut dire qu’après ce laps de temps, la quantité de samarium 146 est divisée par deux. Cette méthode a donné un âge de 4,28 milliards d’années à l’amphibolite de Faux. Le record d’ancienneté obtenu a fait sensation. En 2012, la demi-vie du samarium 146 a été révisée à 68 millions d’années, si bien que l’âge de l’amphibolite a été augmenté à 4,36 milliards d’années. Cependant, les âges d’autres roches comportant des cristaux de zircons ne dépassent pas 3,82 milliards d’années. Plus encore, en étudiant la désintégration du samarium 147 en néodyme 143, qui s’effectue avec une demi-vie de 106 milliards d’années, on obtient un âge de 3,82 milliards d’années pour l’amphibolite, en accord celui des zircons.
En mai 2018, une équipe de scientifiques annonçait que la vie avait pu apparaître sur la Terre il y a au moins 4,2 milliards d’années. L’argument était que les continents existaient déjà durant cette époque reculée, qui était l’enfance de la Terre. Celle-ci est en effet née il y a 4,57 milliards d’années et les roches les plus anciennes que l’on connaisse sont âgées de 4,031 milliards d’années. Ce sont les gneiss d’Acasta au Canada. Une telle affirmation ne manque pas de surprendre, puisque l’on suppose plutôt que la vie est apparue dans les océans. Pourquoi fallait-il donc qu’il y ait des continents ? On verra que cette étude en cache une autre, assez iconoclaste, sur l’origine de la vie, mais d’abord, je vais parler de géologie. Les auteurs sont des spécialistes de cette discipline. Parmi eux, figurent Patrick Boehnke, Elizabeth Bell et T. Mark Harrison, qui ont trouvé une trace possible de vie dans un cristal de zircon âgé de 4,1 milliards d’années.
La signature d’une ancienne roche felsique
Les chercheurs ont pris dix zircons âgés de 3,6 à 3,8 milliards d’années et ont analysé de minuscules inclusions d’apatite, qui n’excèdent pas 10 micromètres de long. Le but était de connaître le rapport entre les quantités initiales de rubidium et de strontium, sachant que le rubidium 87 se transforme en strontium 87 avec une demi-vie de 48,81 milliards d’années. Il se trouve que ce rapport est corrélé avec le taux de silice de la roche. Comme les chercheurs ont trouvé un rapport initial Rb/Sr d’environ 1,7, cela veut dire que la roche était felsique. Elle avait un taux de silice de 65 à 70 %. C’était peut-être une rhyolite riche en aluminium. Les rhyolites sont des roches volcaniques à fort de taux de silice qui constituent par exemple les paysages de la réserve de Scandola en Corse. Ainsi, cette roche, dont l’âge pourrait atteindre 4,4 milliards d’années, aurait pu être le « réservoir » des roches de Nuvvuagittuq : les secondes proviendraient des premières après une évolution d’environ 600 millions d’années et elles en conserveraient une signature isotopique.
Ce problème a un rapport avec le sujet ici traité. L’âge calculé de 4,36 milliards d’années est la conséquence d’un déficit en néodyme 142. On pourrait l’expliquer par le fait que l’amphibolite provient d’un « réservoir » très ancien et que celui-ci a subi un important fractionnement, c’est-à-dire une séparation de différents composants, il y a plus de 4,2 milliards d’années.
Pourquoi les continents auraient-ils été nécessaires à la vie ?
Une roche caractéristique de la croûte continentale aurait donc bien existé durant l’Hadéen, il y a environ 4,4 milliards d’années. Maintenant, pourquoi en déduire que cela aurait permis à la vie d’exister ? La raison est que les auteurs se sont engouffrés dans une brèche ouverte par une équipe de cinq chercheurs, dont Armen Mulkidjanian de l’Université d’Osnabrück en Allemagne. Leurs travaux ont été publiés en 2012 dans les Proceedings of National Academy of Sciences. Ils ont remarqué que les cellules vivantes comportent plus de potassium et de phosphate que les milieux aquatiques : océans, lacs et cours d’eau. Or leur composition devrait refléter celle du milieu où la vie est apparue. C’est le cas des continents, dont la croûte est riche en potassium. Les auteurs en ont déduit que la berceau de la vie se trouvait sur terre, dans des champs géothermiques semblables à ceux de l’Islande.
Cette affirmation est problématique. L’excès d’ion potassium K⁺ par rapport aux ions sodium Na⁺ dans les cellules ne s’explique pas par les propriétés du milieu où elles se trouvent mais par leur capacité à faire augmenter le rapport K⁺/Na⁺. Je cite le chercheur québécois Normand Paquette :
La concentration intracellulaire élevée d’ions K⁺ n’est pas nécessairement le reflet d’un milieu particulièrement riche en ces ions. Ce qui fait que les cellules contiennent beaucoup de potassium, c’est la présence dans leur membrane plasmique d’une ATPase qui utilise l’énergie d’hydrolyse de l’ATP pour pomper ces ions vers l’intérieur et expulser simultanément les ions Na⁺ vers l’extérieur en changeant de conformation et ce, à l’encontre des gradients électrochimiques de ces ions. Quelle que soit la concentration de K+ dans le milieu, ces ions se lient à l’ATPase et se concentrent dans la cellule. Cela produit un potentiel de membrane de ‒70mV : l’intérieur est plus négatif que l’extérieur puisque 3 charges + sous forme de Na⁺ sont expulsées alors que seulement 2 charges + sous forme de K⁺ sont pompées vers l’intérieur. L’eau de mer contient beaucoup moins de K⁺ que de Na⁺, pourtant une forte concentration d’ions K⁺ s’établit dans les cellules. Le phénomène est universel.
On retiendra que la naissance de la vie à l’air libre sur des surfaces continentales n’est pas nécessaire pour expliquer sa concentration élevée en ions potassium.
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Patrick Boehnke, Elizabeth A. Bell, Thomas Stephan, Reto Trappitsch, C. Brenhin Keller, Olivia S. Pardo, Andrew M. Davis, T. Mark Harrison, and Michael J. Pellin
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