La plus grave extinction de masse depuis l’explosion de la vie au début du Cambrien s’est produite il y a 251,90 millions d’années. Elle sert de limite entre les ères Paléozoïque et Mésozoïque, ainsi qu’entre les systèmes Permien et Trias. Cependant, même si l’on sait que la vie a considérablement souffert durant cette crise, ses causes et son déroulement restent mal connus. On peut affirmer qu’elle a été contemporaine d’éruptions volcaniques. On pense naturellement aux trapps de Sibérie.
Une équipe internationale des scientifiques conduite par la géologue suédoise Vivi Vajda vient de mettre en évidence une déforestation brutale dans ce qui est aujourd’hui l’Australie. Il y avait des paysages d’apocalypse. Pour ce faire, elle a étudié des sédiments des localités de Frazer Beach et de Snapper Point, au nord de Sydney. Dans cette région, les roches datent du Trias, mais quand on monte vers Newcastle en longeant la côte, on rencontre des roches du Permien. On traverse donc une zone qui a enregistré l’extinction Permo-Trias. Les sédiments du Permien supérieur sont constitués d’une succession de couches de charbon et de conglomérats (des galets cimentés). La dernière couche de charbon est celle de Vales Point. Elle est surmontée d’argiles dites de Dooralong puis de conglomérats.
L’Australie faisait alors partie du Gondwana, qui était lui-même inclus dans la Pangée. Elle était voisine de l’Antarctique, si bien que la flore et la faune y étaient comparables. La particularité du Gondwana, situé dans l’hémisphère Sud, était d’être dominé par des Glossoptéris, surtout durant le Permien. C’étaient des ptéridospermatophytes, c’est-à-dire des « fougères à graines ». Beaucoup de feuilles ont été conservées, d’autant plus qu’elles tombaient en automne, mais comme un arbre n’est jamais fossilisé en entier, il est difficile de se faire une idée de son port. On suppose que les plus grands pouvaient atteindre 30 mètres de haut.
Dans une étude publiée en janvier 2019, Vivi Vajda a démontré avec une partie de son équipe que cette flore s’est éteinte il y a au moins 252,3 millions d’années, soit environ 370 000 ans avant l’extinction marine principale, qui a servi à définir la limite Permien-Trias. La Terre a été affectée bien avant les mers. De plus, l’extinction terrestre est contemporaine de la phase principale d’émission de magma dans les trapps de Sibérie, mais pas du début des éruptions. Celles-ci ont commencé plus tôt. Il y a d’abord eu des éruptions pyroclastiques, qui ont émises d’immenses colonnes de cendres. Elles n’ont apparemment pas eu d’effet sur la végétation du Gondwana.
Le climat de la côte orientale du Gondwana durant la crise
À la fin du Permien, le territoire étudié faisait partie d’un grand bassin sédimentaire, dit de Sydney-Gunnedah-Bowen. Il était situé entre 65° et 75° de latitude, donc en grande partie au-delà du cercle polaire. Le climat y était froid et constamment humide. En 1999, Gregory Rettalack, un spécialiste des paléosols, a estimé les précipitations annuelles à 1000-1300 mm à l’époque de la dernière couche de charbon et pendant la crise, quand les argiles de Dooralong ont commencé à se déposer. Les précipitations ont ensuite baissé à 800-1200 mm, lorsque ces argiles ont été remplacées par des conglomérats.
D’après un modèle de circulation générale (un modèle climatique) appelé Community Climate System Model 3, à la fin du Permien, les étés étaient humides et les hivers relativement secs. On a supposé que le taux de dioxyde de carbone atmosphérique était 4 fois supérieur au taux pré-industriel, c’est-à-dire de 1120 ppm (soit 0,112 %). La différence maximale entre les températures hivernales et estivales était de 20 °C. Durant la crise, le taux de CO₂ serait monté à 12,7 fois le taux pré-industriel, c’est-à-dire à 3 556 ppm. La différence des températures aurait alors été de 24 °C : il y aurait eu un contraste plus important entre les saisons. Les deux premiers diagrammes des températures et des précipitations l’illustrent. On y voit que, sans surprise, les températures étaient négatives d’avril-mai à octobre. Le climat n’aurait que peu changé durant la crise. Mais si l’on tient compte de la rétroaction des nuages, on obtient le troisième diagramme, où les températures et les précipitations sont nettement rehaussées. Les températures moyennes hivernales auraient été de 9 à 10 °C supérieures à celles des deux précédents cas de figure, négatives seulement en juillet, avec un écart de 22 °C entre les saisons. Cela correspond à l’accroissement de l’érosion enregistrée dans les sédiments, ainsi qu’à l’arrivée de conifères caractéristiques du Trias inférieur, du type Voltzia.
Ce climat, s’il s’est vraiment installé, n’a pas empêché le déclenchement de feux. À leur base, les argiles de Dooralong comportent du charbon de bois provenant de forêts incendiées. Il ne doit pas être confondu avec les couches de charbon, qui se forment quand des forêts meurent dans des conditions anoxiques, notamment quand elles sont inondées. On l’appelle aussi le fusain. La disparition des forêts de Glossoptéris a entraîné celle des couches de charbon. Le déclenchement d’incendies à des latitudes aussi hautes que l’Alaska est tout à fait possible. Ils ont marqué l’été 2019, mais dans la région de Fairbanks, ville située à 64° de latitude Nord, les précipitations annuelles ne sont que de 276 mm par an. Elles auraient été d’environ 950 mm dans le bassin de Sydney, d’après la troisième simulation.
Des paysages de désolation
Les argiles qui se sont déposées à ce moment représentent une « zone morte ». Outre le charbon de bois, elles comportent des fragments de bois dégradés et des spores de champignons. Des lacs sont apparus dans les zones basses, au fond lesquels du silt a sédimenté. C’est du sable extrêmement fin. Il a formé des couches étendues et laminées mais ne dépassant pas quelques mètres d’épaisseur. Elles n’ont pas de bioturbation, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas été perturbées par des animaux fouisseurs. On y trouve des cystes d’algues unicellulaires : des enveloppes protectrices produites par ces organismes pour se protéger dans des conditions hostiles. Elles contiennent également des acritarches d’eau douce. Il s’agit de microfossiles à paroi organique courants durant le Paléozoïque et disparus par la suite.
L’équipe de Vivi Vajda a proposé une explication à ce phénomène en se basant sur les déforestations actuelles. Quand elles existaient, les forêts de Glossoptéris consommaient de l’eau provenant des précipitations, qui retournait dans l’atmosphère par évapotranspiration. Après leur destruction, le niveau des nappes phréatiques a augmenté. Elles ont alimenté des lacs dans les zones basses, où des efflorescences d’algues se sont produites. Il y avait peut-être aussi des cyanobactéries. Ces organismes recevaient des nutriments organiques et des sels minéraux grâce à l’érosion des terres, accrue du fait de la déforestation. Il s’est produit une eutrophisation. Le taux d’oxygène était bas dans les eaux profondes, ce qui empêchait les animaux d’y vivre, et leur salinité a dû augmenter. Les environnements lagunaires ont également dû être touchés. Après la crise, des fougères herbacées et des conifères opportunistes ont colonisé les berges des rivières.
Les cendres volcaniques, riches en nutriments, ont probablement contribué à cette eutrophisation, mais il ne s’agit pas de celles des trapps de Sibérie. L’océan Panthalassa était alors en subduction sous le Gondwana, entraînant la surrection d’une cordillère semblable à celle des Andes, jalonnée de nombreux volcans. On l’appelle l’orogenèse de la Nouvelle-Angleterre. En fait, toute la Pangée était entourée de ce volcanisme à caractère explosif.
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Vivi Vajda et al., End-Permian (252 Mya) deforestation, wildfires and flooding—Anancient biotic crisis with lessons for the present, Earth and Planetary Science Letters 529, 2020.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X19305679
Deux figures sont extraites de cet article, où elles ont été éditées sous licence CC BY-NC-ND 4.0.
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