Les stégosaures, les « lézards à toit », figurent parmi les plus célèbres des dinosaures, avec leurs plaques osseuses courant sur leur dos, de la nuque jusqu’à la pointe de leur queue. Ils sont apparus au plus tard durant le Jurassique moyen et leur dernier représentant connu a vécu durant le Crétacé inférieur, il y a 113 millions d’années. On ne peut qu’essayer de deviner à quoi leurs plaques osseuses ont servi et les théories ont été nombreuses. La réponse dépend probablement de chaque espèce, leur forme étant sujette à des variations. Sur la queue du Kentrosaurus, un stégosaure de 4,5 mètres de long, elles se transformaient en épines qui faisaient sûrement office d’armes. Comme le sang circulait dans les plaques, elles pouvaient réguler la température interne : en les exposant au soleil, le dinosaure se chauffait.
Les stégosaures étaient parents des ankylosaures, les « lézards rigides », qui avaient eux aussi des plaques mais pas disposées de la même manière et n’ayant par conséquent pas la même fonction. Elles constituaient une armure. Chez tous ces animaux, il s’agissait d’ostéodermes qui étaient probablement recouverts de kératine de leur vivant, cette substance qu’on retrouve dans nos ongles. Ils n’étaient pas directement reliés au squelette. Ensemble, ces dinosaures herbivores formaient le groupe des thyréophores, littéralement des « porteurs de boucliers ». Ils descendaient des ornithischiens, les dinosaures à bassin d’oiseau. Contrairement à ce que leur nom laisse penser, ils n’ont pas été les ancêtres des oiseaux. Ils sont cependant l’un des deux sous-ensembles majeurs des dinosaures. Les cératopsiens, dont le fameux tricératops, sont également des ornithisciens.
Les fossiles de stégosaures ont été majoritairement trouvés dans l’ancienne Laurasie, qui regroupait l’Eurasie, l’Amérique du Nord et le Groenland. Il y en a un grande concentration en Chine, en Europe occidentale et aux USA. Les paléontologues en ont identifié onze genres. Sur l’ancien Gondwana, qui regroupait l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Antarctique et l’Australie, on ne connaît que deux genres. Kentrosaurus aethiopicus est représenté par des restes désarticulés du Jurassique supérieur (de 163 à 145 Ma) de Tanzanie et Paranthodon africanus par un maxillaire et un prémaxillaire partiel du Crétacé inférieur (de 145 à 100 Ma) de la formation Kirkwood en Afrique du Sud. C’est tout ce que l’on a trouvé, jusque récemment, en Afrique. Les ankylosaures gondwaniens ne sont pas beaucoup plus nombreux. On en compte un en Australie et un en Antarctique, respectivement du Crétacé inférieur et supérieur. Les stégosaures ont décliné durant le Crétacé tandis que les ankylosaures peuplaient les écosystèmes surtout, en apparence, dans l’hémisphère Nord.
La situation a changé avec la découverte d’Adratiklit boulahfa, un stégosaure du Maroc. Elle a été annoncée le 16 août 2019 dans la revue Gondwana Reseach par Susannah Maidment, Thomas Raven et Paul Barrett du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres, ainsi que Driss Ouarhache, de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdallah de Fès. En langue amazighe, adra et tiklit signifient respectivement « montagne » et « lézard ». Boulahfa est le lieu où les fossiles ont été trouvés. Leur datation est difficile : il faut rappeler que les fossiles ne sont jamais directement datés comme le sont les roches magmatiques et métamorphiques.
Le site de Boulahfa se trouve dans le Moyen Atlas, une série de montagnes et de bassins comprenant des strates du Mésozoïque déformées durant la surrection des Alpes. La sédimentation a commencé pendant le Trias (de 252 à 201 Ma), quand un rift s’est ouvert et a fait entrer la mer. Le Jurassique inférieur est marqué par une épaisse série de sédiments déposés sur le plancher de cette mer. Le Bathonien (de168,3 à 166,1 Ma) et le Callovien (de 166,1 à 163,5 Ma), les deux derniers étages du Jurassique moyen, sont représentés par une succession de carbonates, d’évaporites (roches, comme le gypse et le sel gemme formés par évaporation de l’eau) et de sédiments issus de l’érosion des terres émergées. Ils forment le groupe d’El Mers. Sa datation repose sur ses fossiles d’échinodermes, de brachiopodes et d’ammonites, donc sur des animaux marins.
Des os de dinosaures ont été repérés dans ces sédiments dès 1940. Ils affleurent dans ce qu’on appelle des badlands, dont l’épaisseur est estimée à 110 mètres bien que la base et le sommet n’en soient pas visibles. La présence de la mer s’y fait sentir, mais du siltstone rouge sombre, une pierre composée de sable extrêmement fin comportant des radicelles fossiles, est interprété comme un paléosol. Elle est à mi-hauteur de ces strates. La couches à os de dinosaures se trouve juste en-dessous, dans du silstone vert comportant des marbrures oranges et d’abondants fragments de charbon, vestiges d’anciennes forêts. Elle date probablement du Bathonien.
Les os découverts sont trois vertèbres cervicales anatomiquement semblables à celles des autres stégosaures, une vertèbre dorsale et un humérus gauche de 61 cm de long qui est sans ambiguïté celui d’un stégosaure. Ce dernier est donc un os de la patte antérieure gauche et l’on y voit du cartilage calcifié. C’est peu mais suffisant pour conclure que les thyréophores se sont diversifiés dès le Jurassique moyen, voire le Jurassique inférieur. Le plus ancien stégosaure connu reste Isaberrysaura, découvert dans la formation Los Molles de Patagonie, qui est datée du Bajocien (de 170,3 à 168,3 Ma). Après Adratiklit, vient Loricatosaurus priscus trouvé dans les argiles d’Oxford d’âge Callovien. Ces mêmes argiles ont livré un ankylosaure, Sarcolestes leedsi. Quant au thyréophore chinois Huayangsaurus, il a d’abord été daté du Jurassique moyen, mais en 2018, un nouvelle étude l’a rétrogradé vers le Jurassique supérieur. A cette époque, les fossiles de stégosaures deviennent abondants. Adratilklit est plus proche des stégosaures européens Dacentrurus et Miragaia que de ses cousins africains Kentrosaurus et Paranthodon.
La découverte d’Adratiklit indique que les stégosaures, et plus largement les thyréophores, étaient plus abondants qu’on ne l’avait cru sur le Gondwana. Si l’on en connaît aussi peu, c’est vraisemblablement à cause de biais géologiques et parce que leurs fossiles n’ont pas été suffisamment trouvés et étudiés par des paléontologues. Cela promet de nouvelles découvertes.
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Susanna C.R. Maidment et al., North Africa’s first stegosaur: Implications for Gondwanan thyreophoran dinosaur diversity, Gondwana Research 77, 82–97, 2020.
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