Les géologues s’accordent à dire que la tectonique des plaques n’a pas toujours existé. Ils se demandent alors quand, dans les 4,57 milliards d’années de l’histoire de notre planète, elle est apparue. La réponse est recherchée dans les roches de l’Archéen, le deuxième éon de la Terre, qui s’étend de 4 à 2,5 Ga (milliards d’années) avant notre époque. On les prélève en Australie occidentale, au sud-ouest du Groenland ou au Canada près de la baie d’Hudson. L’âge de ces dernières, constituant le complexe d’Acasta, atteint les 4 Ga, limite qui a été définie comme le début de l’Archéen. Il n’existe pas de roche plus ancienne sur Terre, sauf peut-être celles de Nuvvuagitttuq au Québec mais leur datation est controversée.
Comment peut-on reconstituer la dynamique de la Terre, c’est-à-dire les mouvements qui l’ont affectée, en déterminant la composition chimique des roches ? On sait qu’actuellement, la Terre produit trois types de basaltes. Ce sont des roches dites mafiques car elles sont riches en magnésium et en fer, qui leur donnent une couleur sombre. Toutes résultent de la fusion partielle des roches du manteau, des péridotites. Celles-ci peuvent déjà avoir subi des fusions, auquel cas elles sont appauvries en certains éléments. La fusion de péridotites appauvries se déroule dans les dorsales océaniques et donne un basalte appelé MORB (midle ridge ocean basalt). C’est lui qui recouvre le fond des océans. Des fusions se produisent plus en profondeur dans le manteau.
Par endroits, il y a des ascensions de roches chaudes pouvant venir de la limite entre le noyau et le manteau à 2 900 km de profondeur, qui sont appelées des panaches. Ils font naître des points chauds comme celui d’Hawaii et les basaltes émis sont appelés OIB (oceanic island basalt). Enfin, des basaltes sont produits dans les arcs volcaniques, à l’aplomb des zones de subduction. Une plaque océanique s’enfonce dans le manteau, sous une autre plaque, et se déshydrate (voir le schéma). La remontée d’eau provoque la fusion du « coin du manteau » surplombant la plaque plongeante et donc la production d’un magma basaltique. La cordillère des Andes et les îles aléoutiennes sont des exemples d’arcs volcaniques. Ils doivent leur existence à la subduction de la plaque pacifique sous les Amériques. Ces trois types de basaltes se distinguent par leurs compositions chimiques. Celles-ci témoignent donc de leur provenance et des processus qui leur ont donné naissance. Les basaltes archéens occupent une position intermédiaire entre ces trois pôles, ce qui montre que le manteau supérieur était plus homogène que maintenant, moins appauvri mais aussi moins enrichi, et que la géodynamique était différente. Il n’existait pas d’arcs volcaniques semblables à ceux d’aujourd’hui, si caractéristiques de la tectonique des plaques.
Les auteurs d’une étude publiée en octobre 2018 dans la revue Earth et Planetary Science Letters se sont intéressés aux roches de la croûte continentale archéenne, les tonalites, les trondhjémites et les granodiorites, souvent désignées par l’acronyme TTG. La photo montre une association de tonalite, de trondhjémite et de gneiss en Norvège. La croûte récente est plutôt constituées de granites. Toutes sont des roches claires, voire blanches dans le cas des trondhjémites. Les TTG se distinguent des granites par une moins grande quantité de potassium. Elles ont été formées par fusion partielle de basaltes hydratés. Leurs compositions chimiques s’expliquent par une série de facteurs : la composition du basalte source, le degré de fusion partielle, la profondeur à laquelle se déroule cette fusion et les processus qui entraînent le changement de composition du magma jusqu’à sa solidification. Sachant cela, on comprend que l’analyse chimique de ces roches donne une idée de la géodynamique archéenne, à condition de pouvoir démêler tous ces facteurs.
Le travail qui a été fait est statistique : les données sur 563 échantillons de roches dont les âges vont de 3,8 à 2,5 Ga, soit pendant presque tout l’Archéen, ont été analysées. Les éléments constitutifs ont été pris en compte (silicium, oxygène, sodium, potassium…), ainsi que les éléments présents à l’état de traces. Le résultat montre un changement significatif des indicateurs géochimiques pendant une période de 300 millions d’années, allant de 3,3 à 3 Ga. Ils passent par des minima, des maxima ou présentent une transition. Cette période a déjà été remarquée : le manteau supérieur a connu un maximum thermique, peut-être dû à l’activité de panaches. La naissance de la tectonique des plaques pourrait résulter du refroidissement consécutif à cet épisode.
La théorie de la formation des TTG défendue en France par Hervé Martin et Jean-François Moyen est confortée. D’après elle, c’est une conséquence de la subduction. Une plaque océanique, dont la croûte est en basalte hydraté, subit une fusion partielle quand elle s’enfonce dans le manteau. Le magma ainsi produit monte à travers le « coin du manteau » et refroidit avant de pouvoir atteindre la surface, où il devient une TTG, or plus la fusion se fait en profondeur, plus le magma est contaminé par le manteau durant son ascension. Cette augmentation de la profondeur de la subduction se voit dans les indicateurs géochimiques. Notez qu’actuellement, la subduction n’a pas les mêmes conséquences : la croûte de la plaque plongeante ne fond pas. Elle se déshydrate.
Un nouveau changement est observé vers 2,8 à 2,7 Ga. Il coïncide avec une abondante production de cristaux de zircons. Ce sont des minéraux accessoires des TTG et des granites. Pour les auteurs de l’article, ces roches proviennent d’arcs continentaux. Ainsi, la Terre commençait à prendre un visage moderne, mais avec moins de surface continentale que maintenant. En effet, la croûte continentale n’est pas née en même temps que la Terre. Elle résulte d’un processus de fabrication continu où les zones de subduction ont joué un grand rôle. Elles ont été des lieux de formation de TTG puis de granites, selon les processus décrits ci-dessus.
Dernière observation : les roches de la croûte continentale sont plus diversifiées à la fin de l’Archéen. Cela traduit une plus grande variabilité des basaltes hydratés qui ont engendré les TTG. De plus, les TTG primitives ont été fondues pour donner des roches à caractère plus granitique.
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Tim E. Johnson et al., Secular change in TTG compostions : Implications for the evolution of Archean geodynamics, Earth and Planetary Science Letters 505, 65-75, 1 January 2019.
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X18306186
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